"Révolution! Révolution!", hurlent-ils le poing brandi dans les airs.

Il y a du monde ce soir sur la place des Martyrs. Depuis la mi-octobre, la foule se mobilise chaque jour plus intensément. Nous sommes tous unis derrière notre drapeau cette fois, qu’importe notre confession, nous sommes le peuple libanais. Nous sommes rebellés contre les dirigeants de notre classe politique, les éternels corrompus!

La révolution a commencé le 17 octobre et je crois que c’est historique. Plus de quinze jours déjà et le mouvement ne s’essouffle pas, on parle de milliers de Libanais dans les rues!

En cette fin de journée, j’ai amené mes deux petites filles avec moi, je veux qu’elles participent, qu’elles écrivent l’histoire de cette révolution avec nous. Et puis, elles ont toujours aimé m’accompagner au travail. Avant, je tenais une petite épicerie et elles trainaient dans mes cagettes après l’école. Malheureusement, j’ai mis la clé sous la porte…

Alors, depuis que les foules sont rassemblées dans les rues, je les sillonne avec ma charrette et malgré le coût physique, je gagne bien mieux ma vie ainsi.

Ici au Liban, la crise économique est partout… personne n’échappe au malheur, les riches s’enrichissent, les pauvres s’appauvrissent. Ma famille et moi sommes des pauvres, mais nous résistons pour survivre!

Ces manifestations sont une aubaine pour les vendeurs ambulants comme moi. Je double, voire triple mon salaire certains jours, surtout sur la place des Martyrs ou sur la corniche où les cortèges affluent.

Je travaille et je manifeste aux côtés de mes compatriotes!

Je vends des fruits et légumes, du maïs grillé, des fèves, des tomates, des concombres et des olives, des oranges, des pommes, du raisin ou de la pastèque et du melon.

Dana et Hala illuminent mes journées de leurs éclats de rires, de leur joie de vivre. Elles sont fières de moi, elles disent que je donne des vitamines et du soleil aux gens.

Aujourd’hui, Dana porte un bandana aux couleurs du drapeau dans ses cheveux bouclés et Hala est vêtue de vert et rouge.

Dana se fatigue plus vite que sa grande sœur. Souvent, elle termine la journée sur mon dos. Je ne lui dis pas que son poids ajoute à ma charge. Hala, quant à elle, voudrait devenir marchande ambulante, mais sur un vélo rose qui tracterait sa charrette. Elle vendrait surtout des fruits parce qu’elle n’aime pas les légumes. Et des fleurs! Mama les adore! Et des bonbons aussi! Tout le monde aime les bonbons, n’est-ce pas Dana? Elle fait fondre mon cœur de papa.

Quand la nuit tombe, la police patrouille davantage et c’est le signal pour rentrer à la maison. Mon activité, si elle nous permet de vivre décemment en période trouble, demeure illégale. J’ai de la chance, je n’ai jamais reçu d’amende pour l’instant.

La révolution fait souffler un vent nouveau sur notre pays, je caresse l’espoir qu’il nous apporte des changements durables. J’aimerais redevenir vendeur de vitamines et de soleil.

Illustration: Camille Elamine

Article: https://www.lexpress.fr/actualites/1/styles/pour-les-vendeurs-ambulants-au-liban-la-contestation-est-une-aubaine_2106371.html

 

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