La peinture abstraite m’a toujours laissée dubitative, et pourtant l’exposition intitulée  " L’Espace est silence " du peintre Zao Wou-Ki, au musée d’Art moderne à Paris, ne m’a pas laissée indifférente.

" L’espace est silence ". Je dirais méditation transcendantale, aspiration à couper les liens avec le monde extérieur et l’espace même de la toile pour renouer avec soi, écouter sa musique intérieure, atteindre cet espace intérieur où il n’y a plus de projection ou d’identification avec le monde visible.

Curieusement, l’esprit s’échappe, s’éparpille dans le tableau pour se raccrocher à un élan du pinceau, un trait, une forme rappelant le monde visible pour justement faire taire le silence ! Il s’agit d’une tendance si rassurante à vouloir organiser l’espace, le comprendre, le rationaliser, le réduire à nos repères, notre entendement. " Tiens, on dirait une hirondelle ", s’exclame une dame devant une forme informe ! Oui, la peinture abstraite nous plonge dans une sorte de vision de nulle part, sans référence spatiale ou temporelle, sans repère, juste un appel à faire taire tout préjugé, toute compréhension, toute habitude, tout acquis ou toute connaissance.

Un lâcher-prise, en somme, pour voyager dans un monde intérieur ou subliminal aussi angoissant que l’inconscient, aussi paisible que le désert, le ciel ou l’eau… Éden ou néant… ? Et pourtant le peintre, lui-même issu d’une réalité bien tangible, en nous invitant au monde de l’invisible dans un geste conscient ou inconscient – quoique maîtrisé –, retranscrit malgré lui un rythme, des couleurs, de la platitude ou du relief, du calme ou du complexe…

Aussi cette invitation dans l’abstrait n’est-elle pas un constat de non-sens, mais plutôt une incitation à comprendre le mécanisme de notre perception, notre tendance inconsciente et innée qui nous pousse à rationaliser, à nous raccrocher à des repères connus et compréhensibles !

L’espace-silence est angoissant ou serein, selon ce que notre âme, tourmentée ou pas, est prête à y inscrire…

Nous sommes finalement invités à réécrire nous-mêmes l’espace-silence, à nous l’approprier, à en faire un reflet de notre être ou une résonance intérieure.

L’abstraction parlante de Zao Wou-Ki

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