Sans être adepte de la ‘théorie complotiste’, ou développer une tendance paranoïaque, certains phénomènes récurrents interpellent. Dont cette manie de vacance de pouvoir. Tantôt c’est le gouvernement qui est inopérant, en mode ‘gestion des affaires courantes dans l’acception la plus étroite du terme’, tantôt c’est la vacance au niveau de la présidence, ou encore le gel du travail parlementaire.

 

Si cela se passait occasionnellement suite à des facteurs exceptionnels, ce serait tolérable dans tout pays. Mais lorsque cette manie s’étale sur la moitié du temps depuis des années, ça ne peut être expliqué que par une volonté délibérée. Question de bon sens. Surtout que c’est le même bord qui déclenche ce blocage: le Hezbollah, secondé par les Berryistes, et accompagné par les Aounistes. Toujours les mêmes terminators. Au-delà de l’aspect politique de cette déconstruction (qui n’est pas de notre ressort), il y a assez d’indices qui montrent une motivation économique.

 

On a cru d’abord que le Hezbollah, avec ses alliés, poursuit une politique qui dit: "Soit c’est nous qui construisons et contrôlons l’État, soit personne". Sauf que dans les faits, ce n’est pas ce scénario qui est prédominant. Personne ne cherche à construire quoi que ce soit. La preuve, une fois Michel Aoun bien accroché au strapontin de Baabda, c’était l’occasion rêvé pour le Hezbollah de construire un État et une économie à sa guise. Mais c’est le contraire qui s’est passé.

 

On a assisté durant ce mandat à la plus grande œuvre de déconstruction, détruisant tour à tour toutes les institutions étatiques à caractère économique – et la monnaie nationale dans la foulée. Et voilà Michel Aoun qui a laissé faire sans broncher, se confondant en remerciements à ceux qui l’ont hissé à ce poste, alors que son gendre mettait toute son énergie à détraquer le secteur de même nom.

 

Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin, vu que c’est le secteur privé qui constitue 80% de l’économie du pays? D’où l’importance de le déconstruire aussi. On a commencé par les banques, la Banque centrale et tout le secteur financier, la bête noire du Hezb depuis qu’il en a été évincé.

 

Des suspicieux peuvent rétorquer que le secteur bancaire s’est trouvé lui-même dans une position de déchéance suite à ses choix de placement. Supposons que c’est le cas. Son sauvetage était pourtant possible dès le début de la crise par des mesures standards. Dont en premier lieu une loi de contrôle de capitaux, une demande de la première heure des représentants du secteur. Tentative vaine, glissant le secteur de plus en plus dans une situation inextricable. Et on a enfoncé le clou avec la décision de faire défaut sur la dette publique.

 

Du côté de la Banque centrale, on a institué un système de subventions catastrophiques dilapidant presque toutes ses réserves, près de 20 milliards de dollars en trois ans. Prochaine étape: laisser pourrir le vide constitutionnel pour empêcher la désignation d’un successeur à Riad Salamé, dont le mandat s’achève dans quelques mois. Si cela réussit, c’est le premier vice-gouverneur, chiite et proche du duo, qui sera aux commandes, ou alors on trouvera un remplaçant à la solde du Hezb.

 

Parallèlement, on a assisté à la déconstruction des autres pans de l’économie réelle légale. Le secteur commercial a été ainsi miné par la contrebande qui a pris des proportions inédites. L’industrie subit les mêmes affres.

 

Un processus similaire est appliqué au tourisme, un secteur échappant à leur contrôle, et représentant en plus une décadence contraire à leurs valeurs. On a fait en sorte d’empêcher les gens du Golfe de visiter le pays, alors qu’ils ont toujours été la principale source de revenus du secteur. On crée épisodiquement des crises qui peuvent avoir un impact sécuritaire pour dissuader d’autres touristes potentiels.

 

Mais comment remplir le vacuum laissé par cette destruction systématique? Pour le secteur bancaire, il s’agit de le remplacer par des ‘fonds’ de type Al-Qard-al-Hassan, ou éventuellement de nouvelles banques bien contrôlées.

 

Puis, dans tous les autres domaines, c’est l’économie parallèle qui prévaut, alignant des entités informelles échappant à tout contrôle fiscal, légal, qualitatif, ou éthique. C’est le marché noir qui supplante ainsi le marché blanc, les nuances de gris en moins.

 

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