Le parti Kataëb annonce son alliance avec l’avocat Majd Harb dans la circonscription Liban-Nord III, en vue de pourvoir à l’un des deux sièges maronites du caza.

L’étau se resserre à Batroun autour du chef du Courant patriotique libre, le député Gebran Bassil, dont la réélection est désormais incertaine à l’un des deux sièges maronites à pourvoir dans ce caza, puisqu’il est désormais pris en tenaille entre deux candidats de poids, l’ex-directeur des informations de la MTV, le journaliste Ghayath Yazbeck, soutenu par les Forces libanaises, et l’avocat Majd Boutros Harb, appuyé par le Front de l’opposition nationale.

La volonté d’initier le changement en terrassant notamment celui qui est désigné publiquement et collectivement par la rue depuis octobre 2019 comme le symbole le plus criant du fiasco du sexennat, à savoir le gendre du président de la République Gebran Bassil, était d’ailleurs manifeste dans l’annonce faite lundi par le parti Kataëb de son alliance avec M. Harb aux prochaines législatives.

D’autant que la bataille qui doit se dérouler dans la troisième circonscription du Liban-Nord (Batroun-Zghorta-Koura-Bécharré) revêt une importance particulière, puisque la loi électorale de 2018 en a fait une sorte de mégacirconscription électorale chrétienne, qui servira d’arène à une confrontation directe ou indirecte entre plusieurs des candidats de facto à la prochaine élection présidentielle.

Le chef des Marada Sleiman Frangié d’abord, qui depuis son bastion de Zghorta/Bnechii entend effacer l’amertume de sa “victoire” théorique de 2016, “volée” par l’accord de Meerab et le compromis en vue de l’élection du général Michel Aoun; le député Gebran Bassil ensuite, centré sur Batroun et dont le fantasme est de créer une dynastie Aoun à Baabda; ou encore le président des Forces libanaises, Samir Geagea, dont le fief est Bécharré; mais aussi le chef du Mouvement de l’Indépendance, le député démissionnaire Michel Moawad et l’ancien député Boutros Harb, tous deux originaires et bien ancrés dans le Nord, à Zghorta et Tannourine; sans oublier le chef du parti Kataëb, le député démissionnaire Samy Gemayel qui, en dépit de ses origines metniotes, dispose d’un électorat important dans différentes régions de cette circonscription.

Mais cette circonscription n’est pas que chrétienne: les voix sunnites de Koura et de Zghorta, acquises en grande partie au Courant du Futur, et qui avaient profité à M. Bassil en 2018 en vertu du compromis présidentiel conclu en 2016 entre M. Aoun et l’ancien Premier ministre Saad Hariri, sont également capables de modifier la donne. Laquelle ne serait pas du tout favorable à M. Bassil, en chute d’après les sondages les plus récents, surtout à la lumière de l’inscription massive des expatriés dans cette région, ce qui jouerait en défaveur du chef du CPL et expliquerait sans doute la volonté de ce parti d’empêcher les émigrés de voter sur l’ensemble du territoire libanais et de les parquer dans une 16e circonscription, où ils ne seraient pas capables de susciter beaucoup de remous.

Il convient par ailleurs de noter qu’en raison de la nature hybride de la loi électorale, une sorte de scrutin uninominal (en raison du vote préférentiel) couplé à une représentation proportionnelle, il ne faudrait pas s’attendre à ce que chaque liste présente nécessairement deux candidats dans le caza de Batroun si elle souhaite mettre de son côté toutes les chances de remporter un siège, dans la mesure où les votes préférentiels convergeront, au sein de ce caza par exemple, sur un candidat par liste pour garantir sa victoire.

La candidature de Majd Harb

C’est dans ce contexte que Samy Gemayel a annoncé lundi son alliance avec l’avocat Majd Harb, candidat à l’un des deux sièges maronites de Batroun, lors d’une conférence de presse à l’issue de la réunion hebdomadaire du bureau politique du parti Kataëb à Saïfi.

L’occasion pour M. Gemayel, dont le parti est membre du Front d’opposition nationale, une coalition de partis, de courants, d’associations et de personnalités opposés au pouvoir en place, de souligner “la nécessité d’unifier les rangs de l’opposition pour améliorer ses chances de succès aux prochaines élections”.

“Nous sommes face à une bataille fatidique. Nous sommes conscient de son caractère crucial, de ses dangers et de son importance à tous les niveaux”, a-t-il fait savoir dans son allocution.

“La bataille est à la fois celle de la souveraineté et des réformes. Elle aura des répercussions sur la vie des Libanais qui souffrent d’avoir perdu un pays dont l’identité a été modifiée, sur l’hégémonie des armes et des milices sur la décision politique, sur la pauvreté qui est le résultat de la mauvaise gestion, sur la corruption et le gaspillage des deniers de l’État, ainsi que sur la captation par les banques libanaises de l’argent des déposants”, a poursuivi Samy Gemayel.

“Face à la gravité de la situation, nous devons prendre des décisions audacieuses et avancées ", a-t-il dit, mettant l’accent sur la nécessité de “s’unir en tant qu’opposition pour mener ensemble la lutte et améliorer nos opportunités de victoire, surtout dans la troisième circonscription du Liban-Nord, où se déroulera la ‘mère des batailles’, et à Batroun en particulier, où tout le monde nous demande d’unifier nos efforts et de mettre tout ce qui est insignifiant de côté pour réfléchir sur le moyen remporter la victoire aux côtés de ceux qui nous ressemblent ".

“Faire des sacrifices "

“Pour gagner la bataille, nous devons faire des sacrifices, a souligné le chef du parti Kataëb. Nous avions un candidat naturel dans cette circonscription, Samer Saadé, mais les circonstances de la bataille nécessitent de nous unir pour que nous puissions gagner”. Député de 2009 à 2018, Samer Saadé, fils de l’ancien chef du parti Kataëb Georges Saadé, est originaire du village de Chabtine, dans le caza de Batroun.

“Mais après avoir étudié les chiffres à Batroun, nous nous sommes aperçus qu’il convient de mettre de côté nos divergences et d’unir nos efforts de sorte que les votes préférentiels aillent à un seul candidat, ce qui nous a poussé à entrer en contact avec une personne qui est proche de nous en termes d’éthique, et qui pense comme nous sur le plan de la souveraineté et des réformes”, a précisé M. Gemayel.

Après avoir mis en exergue l’engagement de Magd Harb dans sa mission d’avocat et dans le champ public, ainsi que ses capacités et son intégrité, le député démissionnaire a indiqué: “Nous avons constaté qu’il adhère aux principes des Kataëb, et il nous a assuré qu’il travaillera avec nous dans le cadre d’un groupe parlementaire uni pour la souveraineté et l’indépendance du Liban et pour l’amélioration de la qualité de vie des Libanais”.

Samy Gemayel a lancé un appel à tous les Kataëb de Batroun à soutenir Majd Harb, " C’est notre combat à tous, et je vous demande d’orienter tous nos efforts pour obtenir une victoire historique dans ce caza”, a-t-il dit, compte tenu de l’enjeu stratégique de la circonscription. Il a appelé dans ce cadre “chacun des partenaires au sein du front d’opposition à s’élever au-dessus des égos dans toutes les circonscriptions, dans le cadre de la grande bataille, l’unité des rangs de l’opposition étant seule à même de redonner confiance à l’opinion publique souverainiste” pour faire la différence au prochain scrutin.

“Nous donnons l’exemple à Batroun et continuerons à le faire dans toutes les circonscriptions, en accordant la priorité à l’unité des rangs et au salut du Liban de la catastrophe dans laquelle il se trouve”, a-t-il dit.

“La bataille commence à Batroun”

Prenant la parole, Majd Harb a commencé par remonter à ses années de militantisme au sein du mouvement estudiantin, pour évoquer le souvenir de l’ancien ministre Pierre Amine Gemayel, assassiné le 21 novembre 2006. “Nous étions supposés dîner avec lui ce soir-là. Il n’a jamais pu venir. Seize ans plus tard, la bataille reste la même, puisque les mêmes contre lesquels Pierre a résisté au prix de sa vie continuent d’occuper le Liban”, a-t-il indiqué.

Et M. Harb de poursuivre: “Nous sommes d’accord que nous voulons libérer la République. Nous voulons une République à cent pour cent libanaise, dont le président sera le chef de l’État, pas un guide ; une République neutre pour en finir avec l’Iran et la Syrie et donner la priorité au Liban, pas celle des cent mille combattants, de l’accord de Mar Mikhaël, où “ceux à qui cela ne plaît pas” doivent émigrer (en allusion à des propos tenus durant la révolution d’octobre 2019 par le président Aoun) ; une République disposant d’une armée forte et d’une décision libre. Nous sommes aussi d’accord sur la lutte contre la corruption. Nous ne voulons pas d’une République du donnant-donnant, des navires-centrales, de Sukleen et des barrages asséchés. Nous sommes en faveur d’une République dont l’économie serait forte, et non pas sur le modèle qui nous appelle à "planter du persil et des oignons au balcon" (en allusion à des propos tenus par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, en faveur d’une agriculture de substitution face à la crise)”.

“La bataille contre la corruption et l’État-failli commence à Batroun, face à celui qui a accordé une couverture au Hezbollah et qui s’est soumis à lui”, a souligné le fils de l’ancien ministre et député Boutros Harb. “Le 15 mai, nous sommes appelés à répondre à la question suivante: ‘Quel Liban voulons-nous ?’”, a-t-il conclu, en reprenant ainsi un formule chère au fondateur des Kataëb, Pierre Gemayel.

Dans un entretien accordé à Ici Beyrouth, Majd Harb a précisé qu’il annoncera officiellement sa candidature vendredi depuis Batroun même, dans une conférence de presse au cours de laquelle il présentera également son programme, fondé sur le rétablissement de la souveraineté, la lutte contre la crise économique et sociale et la corruption, ainsi que la redynamisation de la fonction de législation et de de contrôle parlementaire. Il souligne dans ce cadre que sa démarche est de plancher en amont sur des projets de loi qu’il portera au sein de l’Hémicycle, dans une volonté de renouer avec la tradition parlementaire libanaise, et, surtout, de proposer du concret.

Le mécontentement de Saadé

Il convient de signaler que l’ancien député Samer Saadé a exprimé lundi soir son vif mécontentement d’avoir été écarté de la liste du Front de l’opposition nationale à Batroun. " Les Kataëb à Batroun ne sont pas une marchandise que l’on brade sur le marché des élections. La lutte des Kataëb à Batroun ne saurait être sacrifiée sur l’autel des compromis politiques. La décision d’appuyer la candidature de Majd Harb est un coup de poignard dans le dos des sacrifices consentis par les Kataëb du Nord et marque la fin de leur présence, au profit de celui qui a payé le prix de ce report de voix. Je tiens toutefois à l’informer officiellement qu’il a acheté un chèque sans provision ", a écrit M. Saadé sur son compte Twitter.