À bien regarder la situation préoccupante du Liban, plusieurs signes qui méritent la plus grande attention se profilent à l’horizon. Ils montrent qu’un périmètre de sécurité international cherchant à se parfaire se met progressivement en place autour du pays.

Loin d’obéir à des considérations d’optimisme ou de pessimisme quant à la suite des événements, ce périmètre agit plutôt selon une formule préventive. Il semble que la communauté internationale n’ait plus d’autre moyen d’éviter la grande explosion, en raison de l’inéluctable entrée dans le chaos total. Lequel ne serait pas sans embarrasser le monde à l’étape actuelle, fragile et complexe, que la région traverse.

Ce chaos est attendu. Rien ne peut l’arrêter si les effondrements financiers, économiques et sociaux se poursuivent. Toutes ces formes sont possibles avec l’érosion continue de l’État et de ses institutions. Dans un tel cas de figure, la sécurité seule ne peut plus imposer son autorité à titre exclusif, en l’absence des autres pouvoirs.

Le discours relatif à la crainte que l’arène libanaise ne soit témoin d’un chaos sécuritaire qui emporterait les restes de l’État revient de plus en plus clairement sur les lèvres des autorités de référence arabes et internationales.

Cette crainte se traduit par la feuille de route proposée par les pays du Golfe, qui est compatible dans la forme et dans le fond avec les appréhensions des pays occidentaux. Elle a été formulée dans des conditions et des délais précis, sans parier sur aucune mise en œuvre de la part du Liban. Cependant, son timing, par le biais d’une initiative koweïtienne, a contribué à la transformer en mise en garde de ce qui se prépare dans les coulisses de la crise, dont le Liban est devenu le grand titre et la source.

Bien sûr, il n’est pas innocent ou accidentel que l’initiative coïncide avec la suspension par l’ancien Premier ministre Saad Hariri de son action politique, avec le brassage de cartes qui en résulte et qui affectera négativement l’establishment et celui qui le contrôle aux prochaines élections, si elles ont lieu, et si M. Hariri s’en tient à sa décision.

De même, la visite du secrétaire d’État aux relations avec les États du Vatican, Mgr Richard Paul Gallagher, ne peut être considérée comme routinière ou transitoire, que ce soit au niveau de son appel à un changement et à la non-hypothèque du Liban par des intérêts étrangers, ou de l’inquiétude exprimée par le Vatican face à une éventuelle disparition du pays.

Les indications les plus importantes concernant le périmètre de sécurité qui est en train de se parfaire restent la déclaration présidentielle du Conseil de sécurité de l’ONU et son affirmation de soutenir la stabilité, la sécurité, la souveraineté et l’indépendance politique du Liban.

Les données sont abondantes. La déclaration du Conseil de sécurité a été publiée à l’unanimité par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Alors que la position des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne s’avère conforme à leur posture traditionnelle vis-à-vis du Liban, il convient de mettre en relief celle de la Russie et de la Chine, qui se sont alignées sur le "camp occidental". Ce consensus n’existe pas ailleurs sur les nombreux dossiers dans la région et dans le monde, en particulier ceux liés à l’axe iranien et ses affidés en Syrie et au Yémen.

Nul ne peut ignorer cet appel adressé à toutes les parties libanaises afin qu’elles adoptent une politique de dissociation vis-à-vis de tout conflit extérieur et qu’elles dépoussièrent la Déclaration de Baabda, publiée en 2012 à la suite de la conférence de dialogue sous l’égide de l’ancien président Michel Sleiman, qui avait par la suite transmis le texte aux Nations unies sous la forme d’un document officiel. Le Hezbollah, qui en avait approuvé le contenu dans un premier temps, s’était retourné contre l’initiative ultérieurement, retirant son consentement et sa signature au document.

La déclaration présidentielle du Conseil de sécurité a souligné l’importance de tenir les élections législatives dans les délais impartis, et la nécessité de mener une enquête rapide, indépendante, impartiale, complète et transparente sur les explosions au port de Beyrouth le 4 août 2020, et mener des investigations sérieuses pour sanctionner ceux qui ont mené des agressions contre les soldats de la Force internationale des Nations unies opérant au Liban-Sud.

Plus important encore, la déclaration présidentielle a appelé au retrait des armes du Hezbollah, à travers le soutien des pays membres du Conseil de sécurité aux résolutions 1701 (2006), 1680 (2006), 1559 (2004) et 2591 (2021).

En contrepartie, le Hezbollah n’a pas cessé de mettre en œuvre l’agenda iranien, auquel les communautés internationales et arabes font face. Il souhaite confirmer, ce faisant, qu’il est le chef suprême, mettant en œuvre la déclaration du chef de son groupe parlementaire Mohammad Raad, selon laquelle ils sont " les maîtres du Liban”. Le parti ridiculise toute initiative interne et condamne toute initiative extérieure capable de limiter l’influence de l’axe dont il fait partie et le pouvoir absolu qu’il impose à tous les aspects politiques, économiques et sociaux de la vie publique.

Face à cette équation, une question vitale se pose : quel périmètre va se parfaire le premier et provoquer un changement afin de briser l’insupportable statu quo actuel, qui ne saurait perdurer ?

Les tentatives de la communauté internationale viendront-elles à bout des projets de l’axe iranien ?

L’explosion est-elle inéluctable, de sorte que le fait de déclarer le Liban “État failli et impuissant“ devient lui aussi inévitable, ce nouvel état de fait entraînant aussitôt la nécessité d’un règlement ? Ou bien y a-t-il une possibilité qu’un tel sort soit épargné au pays à travers un règlement quelconque, sans opération miraculeuse de sauvetage, qui fournirait plutôt à l’establishment un peu d’oxygène en échange de quelques changements minimes, ce qui conduirait au maintien de l’État avec ses institutions, sa corruption et son clientélisme, à condition qu’il empêche l’effondrement, même aux dépens de ce qui reste du peuple libanais ?

Il semble que l’on s’oriente vers cette possibilité, ce qui permettrait à la communauté internationale de garantir qu’il n’y ait pas d’explosion aux répercussions fâcheuses au niveau de l’agenda de ceux qui président au sort des équilibres régionaux et internationaux.

La situation est familière, dans la mesure où la communauté internationale a tourné la page de la guerre civile en permettant aux seigneurs du conflit de prendre le pouvoir et de céder la souveraineté du pays au régime Assad… Rien n’indique que ses intérêts rejoignent ceux du peuple libanais et pourraient assurer un nouveau départ pour ce pays en vue de son salut.

Si le périmètre de sécurité est parachevé, ce ne sera pas forcément une victoire pour le changement conduisant à déraciner l’establishment et ceux qui le contrôlent. Il est même plus probable que les deux axes international et iranien concluent un marché à même de garantir la stabilité et d’empêcher l’explosion.

Qui vivra verra.