Récemment, le chef de l’Etat Michel Aoun a affirmé que la présidence de la République " ne doit pas être dans la ligne de mire de qui que ce soit ", soulignant que c’est le président de la République qui "engage les négociations au sujet des traités et des accords internationaux et les ratifie avec le Premier ministre, puis le Conseil des ministres, avant que ces documents ne soient entérinés par le Parlement, en vertu de l’article 52 de la Constitution".

De toute évidence, Michel Aoun s’est suffi de la déclaration du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, selon laquelle cette formation soutient l’Etat dans l’affaire des pourparlers indirects avec Israël sur les frontières maritimes et n’a pas voulu aller plus loin. En d’autres termes, il n’a pas écouté ou voulu écouter celles, incendiaires, d’autres cadres du parti, en l’occurrence le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, au sujet de ces mêmes négociations. Ce qui compte pour lui, c’est de marquer un point auprès d’"une frange des Libanais, officiels et professionnels des médias, qui ignorent la Constitution et se fourvoient dans des déclarations préjudiciables au Liban, sur la position du président, son rôle et le serment qu’il a prêté".

On dirait qu’il a voulu faire exprès de ne pas identifier ceux qu’il a qualifiés d’"ignorants". À moins qu’il n’ait pas été informé des développements relatifs au dossier des frontières maritimes ou que ses collaborateurs aient cherché à éviter qu’il ne s’emporte et fasse voler en éclats l’accord de Mar Mikhael, en lui cachant que le chef du bloc parlementaire du Hezbollah Mohamad Raad lui a retiré ses prérogatives, discrédité la Constitution, et fait fi de la présidence, de son intangibilité, et de la nécessité qu’elle reste au-dessus de la mêlée. C’est que Mohammad Raad a redéfini en une phrase qui ne peut prêter à confusion, les priorités en ce qui concerne les politiques stratégiques libanaises : "nous disons que notre gaz restera enfoui dans nos eaux jusqu’à ce que nous puissions empêcher Israël de toucher à une goutte d’eau de nos eaux". Quant à ceux qui seraient en désaccord avec ses propos, il leur a demandé, sans autre forme de procès d’"aller se faire voir ailleurs".

Ce discours s’inscrit dans la logique même de l’attitude du Hezbollah. Il est de notoriété publique que cette formation dicte sa loi à tous, et va même, lorsque les intérêts de son commanditaire iranien l’exigent, jusqu’à cibler la présidence de la République, dont le souci principal est de poursuivre les activistes qui lui reprochent d’être devenue un paravent et une couverture exploités par le Hezbollah pour gérer le pays à sa guise.

Si la formation pro-iranienne observe le silence pendant un certain temps, en laissant le champ libre à la présidence pour ses blocages destinés à obtenir le plus grand nombre d’acquis au niveau des nominations et des marchés qui conviennent au gendre du chef de l’Etat dont les ambitions et l’appétit d’engranger tout ce qui peut l’être sont sans limites, cela ne veut pas dire pour autant qu’elle est d’accord avec les grandes lignes des négociations, des traités et des accords internationaux qui se préparent.

Si elle dit oralement les approuver, cela ne l’engage pas à tenir parole et si elle fait voler en éclats des décisions présidentielles, entraînant le pays sur des voies de son choix, cela ne veut pas dire qu’elle est en désaccord avec le président ou son parti politique.

Le Hezbollah dicte son desiderata sans rompre avec ses alliés. Il les autorise à critiquer certaines de ses positions, tout en prenant soin de confiner ces divergences dans le cadre étroit d’une guerre des armées électroniques qui remplissent ainsi leur fonction en jouant sur la corde communautaire au besoin. Parce que concrètement, le Hezbollah demeure engagé par l’"accord de Mar Mikhaël", qui reste un besoin pour lui autant que pour Michel Aoun, dans la mesure où il leur permet d’obtenir ce qu’ils veulent. Les intérêts mutuels suffisent de ce fait à eux seuls à réparer les accidents de parcours.

Les prochaines élections prévues en mai prochain et dont la tenue a été confirmée par Hassan Nasrallah, illustreront cette entente, à moins qu’un évènement inattendu ne justifie leur annulation.

Plus encore, ce dernier a assuré que "les machines électorales du parti seront présentes dans toutes les circonscriptions, où le Hezbollah présentera des candidats ainsi que dans celle où il n’aura pas de candidats, pour que les voix des électeurs ne soient pas gaspillées".

En réalité, Nasrallah ne veut pas que le vote des Libanais puisse paver la voie à l’émergence d’une nouvelle classe politique qui ne soit pas soumise à son parti et qui s’opposerait à lui dans le nouveau Parlement.

Cette formation sait pertinemment bien que le désespoir des gens et leur rejet de la classe politique actuelle, conjugués à la pauvreté qui va crescendo, sont autant de facteurs qu’il sera difficile de contrôler et d’instrumentaliser. Elle sait aussi qu’il lui est difficile de réaliser dans les régions chrétiennes notamment, où il est impératif à ses yeux de soutenir les candidats du Courant patriotique libre, ce qu’il lui est facile d’opérer dans les régions chiites sous son contrôle, grâce à ses partisans ou à la peur suscitée par sa tyrannie.

De ce fait, le Hezbollah ne laissera pas un impondérable hypothéquer ses chances d’obtenir une nouvelle fois la majorité parlementaire par le biais d’une représentation chrétienne de poids assurée à ses alliés.

S’il est vrai qu’il aurait pu user de l’excédent de force dont il dispose pour pulvériser toute opposition, comme cela s’est produit par le passé, il est tout aussi vrai que son étalage de force n’a pas empêché les Libanais de battre le pavé pour dénoncer la classe politique, le Hezbollah compris, en 2015 et en 2019. Ce ras-le-bol des Libanais a conduit à la répression, l’intimidation et le noyautage des protestataires qui ont été confrontés avec des balles. Des activistes ont été ainsi tués. D’autres ont été arrêtés. Tout mouvement qui échappait à son contrôle a été accusé de trahison et d’être à la solde des ambassades. Sauf que cette répression a aussi eu pour effet d’aggraver la crise économique et de saper la sécurité sur les plans social, économique et sécuritaire.

De ce fait, le parti est mobilisé sur tous les fronts électoraux, dans un souci de consacrer son rôle de véritable et unique leader, face à tous les autres qui, au niveau de toute la pyramide du pouvoir, assument un rôle de figurants dans cette parodie qu’est devenu l’État avec ses institutions, sa Constitution et ses lois.

Il est cependant évident que si les élections ne consacrent pas la pérennité de cette structure, elles deviendront inutiles et il serait à ce moment-là impératif aux yeux du Hezbollah de les torpiller.

Partant, on peut facilement comprendre pourquoi cette formation s’est arrogée le droit de poser des conditions pour la délimitation des frontières. C’est aussi elle qui décide de la tenue d’élections jouées d’avance dont le but est de lui garantir une majorité parlementaire, au point de fermer l’œil sur la décision de son allié chrétien d’avoir parmi ses candidats une personnalité qui avait été jugée coupable de contacts avec Israël et qui avait reconnu les faits.