Dans cette circonscription qui compte le plus grand nombre de sièges (13), deux grandes batailles politiques très tranchées se joueront le 15 mai prochain.

Deux grandes batailles, interconnectées, se joueront le 15 mai prochain dans la circonscription du Chouf-Aley (Mont-Liban IV). D’abord, une confrontation politique claire entre, d’une part, une alliance regroupant des partis qui étaient au cœur du 14 Mars et qui se retrouvent aujourd’hui pour en défendre les principes souverainistes, à savoir le Parti socialiste progressiste, les Forces libanaises et le Parti national libéral, et, d’autre part, une coalition de partis appartenant au 8 Mars, notamment le Courant patriotique libre, le Parti démocrate libanais et le parti Tawhid, appuyés par le Hezbollah. Cette confrontation, qui en fait a lieu au niveau du pays tout entier, revêt un cachet multiconfessionnel particulier dans cette circonscription mixte, ainsi qu’à Baabda (Mont-Liban III), où la même alliance PSP-FL-PNL affronte le Hezbollah et ses alliés.

La seconde grande bataille est celle que va livrer le PSP pour préserver sa présence et son influence dans une région qui est considérée comme son bastion historique, et dans laquelle le Hezbollah a clairement annoncé son intention de " renforcer la situation de ses alliés " aux dépens du parti dirigé par Walid Joumblatt. L’enjeu est important pour le PSP car cette circonscription compte plus de 141.000 électeurs druzes (41 pour cent des inscrits), et regroupe 4 sièges druzes, alors que les 4 autres sièges attribués à cette communauté sont dispersés entre Beyrouth II, Baabda, Békaa Ouest-Rachaya et Marjeyoun-Hasbaya. Avec près de 130.000  chrétiens inscrits (dont plus de 91.000 maronites), et 7 sièges chrétiens (dont 5 maronites), cette région permettra aussi aux FL et au CPL de se mesurer, sachant que le Parti national libéral aura aussi son candidat.

Différences avec 2018

Il y a quatre ans, l’alliance PSP- FL- Courant du futur avait remporté 9 des 13 sièges au Chouf-Aley, alors que le CPL et Talal Arslan (chef du PDL) en avaient obtenu 4. Depuis, plusieurs changements ont eu lieu.

Premièrement, le chef du Courant du futur Saad Hariri s’est retiré de la course cette fois. Alors que le Hezbollah se réjouit de cette absence et cherche à en tirer profit dans toutes les régions, des efforts sont déployés pour convaincre les partisans du Futur de participer massivement au scrutin, dans une région où les sunnites comptent 19 pour cent des inscrits.

Ensuite, deux nouveaux facteurs sont entrés en jeu. D’abord, la société civile, qui avait présenté deux listes de candidats à l’époque, et qui pourrait bénéficier cette fois du ras-le-bol populaire qui s’est manifesté durant la " thaoura " contre les partis politiques au pouvoir. À condition bien sûr qu’elle réussisse à s’unifier, ce qui ne semble pas être le cas au Chouf-Aley, sauf surprise de dernière minute.

Second facteur apparu cette année : les expatriés libanais, qui se sont inscrits en grand nombre cette année (25.556 sur les 346.451 électeurs de Chouf-Aley, contre 8347 en 2018) pour bénéficier du droit de voter selon leur circonscription d’origine, et qui comptent bien être un joueur important dans cette échéance.

Liste PSP-FL-PNL

Cette circonscription est celle qui compte le plus grand nombre de sièges, 13, répartis de la façon suivante : au Chouf, 3 maronites, 2 druzes, 2 sunnites, 1 grec-catholique, et à Aley, 2 maronites, 2 druzes, et 1 grec-orthodoxe.

Le camp souverainiste a été le premier à compléter sa liste, qui sera bientôt annoncée. Enregistrée officiellement mercredi soir, sous le nom " Le partenariat et la volonté ", elle compte deux femmes. Elle regroupe, pour le Chouf, Teymour Joumblatt et Marwan Hamadé (druzes, PSP), Habouba Aoun (maronite, PSP), Georges Adwan et Elie Cordahi (maronites, FL), Bilal Abdallah (sunnite, PSP), Saadeddine Khatib (sunnite, proche de la base du Courant du futur) et Fadi Maalouf (grec-catholique, PNL). À Aley, ses candidats sont Akram Chehayeb (druze, PSP), Ragy Saad (maronite, proche du PSP), Joelle Faddoul (maronite, proche des FL) et Nazih Matta (grec-orthodoxe, FL). Comme d’habitude, le PSP n’a pas nommé de second candidat druze à Aley, sachant que Talal Arslane bénéficie généralement de cette place vacante.

Cette liste avait été finalisée mardi soir, après de longues discussions entre les parties concernées. Le retrait par Charles Arbid, président du Conseil économique et social, de sa candidature au siège grec-catholique du Chouf avait permis au candidat du PNL, Fadi Maalouf, de se joindre à la liste.

Deux listes 8 Mars ?

En face, dans le camp CPL-Arslan-Wahab, les contacts n’ont pas encore réussi à aplanir les divergences empêchant la formation d’une seule liste. Le chef du CPL, Gebran Bassil, refuse que l’ancien ministre Naji Boustani se joigne à la liste, de peur que ce dernier n’affecte le nombre de votes dont pourrait bénéficier l’actuel député CPL Farid Boustani. Selon certaines sources politiques, Farid Boustani lui-même est également opposé à la présence de Naji Boustani sur la liste. Cependant, le Hezbollah et Wiam Wahab insistent sur la présence de Naji Boustani, qui avait obtenu 5245 votes préférentiels en 2018, alors qu’il était sur la liste PSP-FL-Futur.

Les interventions de toutes parts en vue d’une liste regroupant les deux Boustani auraient échoué, et il semble que l’on se dirige, à moins d’un changement de dernière minute, vers deux listes. La première regroupant, notamment, pour le Chouf, Wiam Wahab (Tawhid, druze), Farid Boustani (maronite), Mario Aoun (maronite, actuel député CPL dont Gebran Bassil a rejeté la candidature), Ahmed Najmeddine (sunnite, Ahbaches), et Oussama Meouch (sunnite), et pour Aley, Talal Arslan (druze, PDL). La seconde, celle du CPL, serait composée notamment, pour le Chouf, de Ghassan Atallah (grec-catholique), Tarek Khatib (sunnite), et Antoine Abboud (maronite) et pour Aley,  César Abikhalil (maronite).

Forces du changement

Du côté de la société civile, les négociations visant à présenter une liste unique semblent avoir échoué. Au moins trois listes seraient en lice, sachant que les négociations se poursuivent pour aboutir à une liste rassemblant des représentants des forces du changement qui ont déjà une certaine présence.

En effet, parmi ces candidats non issus des partis traditionnels, beaucoup font leurs premiers pas en politique, alors que certains noms sont plus connus du grand public. C’est notamment le cas des candidats du parti Takaddom, Mark Daou (druze, Aley) et Najat Aoun (maronite, Chouf).

Mark Daou, qui possède une compagnie de relations publiques, est également enseignant à l’Université américaine de Beyrouth et avait animé une émission politique à la télévision. Il avait participé aux législatives de 2018 sur la liste " Madaniya " et avait obtenu 1505 voix. Pour sa part, Najat Aoun est professeure de chimie et directrice du Centre de conservation de la nature à l’AUB.

Deux autres femmes, qui ont participé aux législatives en 2018 sur la liste " Koullouna Watani ", se représentent cette année. Il s’agit de Zoya Jureidini, directrice de l’ONG Kafa (candidate au siège grec-orthodoxe à Aley, elle avait obtenu 1687 votes) et Ghada Eid, présentatrice d’une émission télévisée contre la corruption (candidate au siège maronite au Chouf, elle avait obtenu 2094 voix).

Le parti " Citoyennes et citoyens dans un État ", dirigé par Charbel Nahas, présente aussi une liste.

Voix du Hezbollah

Selon certains analystes, l’un des objectifs prioritaires du Hezbollah est de faire élire Wiam Wahab au Chouf, à la place de Marwan Hamadé, qui est l’un des plus farouches adversaires du parti pro-iranien. Il tenterait également de faire élire l’ancien ministre Ghassan Atallah, proche de Gebran Bassil, qui était candidat sur la liste de Talal Arslane en 2018 mais avait échoué.

Il reste à savoir comment le Hezbollah divisera les voix de ses partisans dans ce caza, surtout si deux listes du 8 Mars sont en lice.

Les études de ces analystes suggèrent que le PSP conservera au moins deux sièges druzes et un sunnite au Chouf, et au moins un druze et un maronite à Aley, si la base du parti répartit bien ses votes préférentiels. Pour les autres sièges, tout dépendra de l’attitude des électeurs sur le moment, notamment les sunnites, et du nombre de listes de la société civile. Celle-ci devrait présenter une seule liste pour avoir la chance de percer dans cette région, et elle devrait notamment profiter de l’opportunité que lui offre le siège druze laissé vacant à Aley.

Hamadé : résistance au Hezbollah

L’alliance PSP-FL est " dans la nature des choses ", souligne l’ancien ministre et député Marwan Hamadé, candidat à l’un des deux sièges druzes du Chouf. "Ce sont les deux grands partis de la réconciliation de la montagne, les symboles de la vie en commun entre les druzes et les chrétiens, et l’axe qui résiste encore au Hezbollah après la défection de Saad Hariri ", ajoute-t-il.

Il précise que le fait que Talal Arslan et Wiam Wahab soient sur une même liste cette année, alors qu’ils étaient sur deux listes séparées en 2018, ne constitue pas une menace pour la liste PSP-FL, car en fait " nous avons un seul adversaire, le Hezbollah ".

Le PSP va d’abord défendre les deux sièges druzes au Chouf, parce que s’il n’a rien de personnel contre Wiam Wahab, ce dernier " personnifie le Hezbollah et les services de renseignements syriens et on ne donnera pas un siège druze au Chouf au Hezbollah ". Le parti dirigé par Walid Joumblatt va également se battre " pour nos alliés maronites ", souligne Marwan Hamadé, qui rappelle que le PSP renforce actuellement son alliance avec les FL et le PNL.

Pour ce qui est de l’impact de l’absence de Saad Hariri sur le vote des partisans du Futur au Chouf, Marwan Hamadé estime qu’il faut "compenser les voix sunnites à travers une mobilisation des druzes et la grande alliance avec les Forces libanaises ". Mais en fait, souligne-t-il, " nous avons de grands espoirs que la base sunnite ne va pas aller voter avec les assassins de Rafic Hariri ". Le risque qui se pose est celui de l’abstention, et " notre effort est de les amener à voter, car leur vote naturel est avec nous, depuis Kamal Joumblatt ", note l’ancien député du Chouf, qui avait démissionné après l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020.

Si le PSP coordonne à Beyrouth II avec l’ancien premier ministre Fouad Siniora, qui parraine une liste à laquelle Faycal Sayegh doit en principe se joindre, cela ne s’applique pas nécessairement à la circonscription Chouf-Aley, car " il y a historiquement une ligne nationaliste-arabe et joumblattiste dans l’Iqlim ", relève Marwan Hamadé.

Pour ce qui est des expatriés, le PSP se félicite du grand nombre d’inscrits, " parce que les expatriés sont souverainistes pour la plupart d’entre eux". Le plus important reste, pour Marwan Hamadé, l’enjeu de ces élections, et cet enjeu, " c’est le Liban de demain ". Dans ce cadre, il souligne qu’il faut " conserver les attributs de souveraineté, d’indépendance et de liberté, de 1920 à 1943 à 1989, les trois piliers qui ont été bâtis, et il faut bâtir un quatrième pilier qui est celui de la réforme et de la jeunesse ".

" Il faut ouvrir une vanne du pouvoir aux jeunes, mais pas les emmener chez les mollahs de Téhéran. Sinon qu’aurions-nous fait ? On les aurait envoyés dehors rejoindre leurs frères et cousins ", ajoute Marwan Hamadé. À ce sujet, il confie qu’il ne serait pas déçu si des candidats de la société civile sont élus, même aux dépens de sa liste, "le plus important est d’empêcher l’élection des candidats du Hezbollah ".

Adwan : lever l’hégémonie des armes

Pour sa part, Georges Adwan souligne l’importance de l’alliance avec le PSP. " D’abord, depuis 2005, nous œuvrons à renforcer la réconciliation entre chrétiens et druzes réalisée par le patriarche maronite Nasrallah Sfeir et Walid Joumblatt, et l’on peut dire qu’elle est enracinée et que le climat est excellent dans les localités mixtes ", précise-t-il. " Ensuite, nos deux partis mènent une bataille souverainiste et nationale pour lever l’hégémonie des armes sur l’État, et cette bataille est claire et essentielle ", ajoute Georges Adwan.

Le vice-président des Forces libanaises est optimiste pour ce qui est des résultats du scrutin dans la circonscription, en dépit de l’absence de Saad Hariri qui pourrait conduire à une baisse de la participation sunnite. Il prévoit de bons résultats pour la liste ainsi que les différents partis qui la composent.

Des sources proches des FL mettent par ailleurs l’accent sur l’importance du message que porte cette alliance entre trois partis souverainistes à Aley, au Chouf et à Baabda. Elles notent que l’alliance entre le parti dirigé par Samir Geagea et celui dirigé par Walid Joumblatt est solide, rappelant que c’est la quatrième fois qu’ils font front commun dans les élections de la Montagne, après de précédentes alliances en 2005, 2009 et 2018.

Elles relèvent que les deux partis partagent une même lecture des raisons de la crise au Liban, un même objectif, qui est celui d’établir un vrai État, et une même approche des moyens de le réaliser, à travers les élections.

Selon ces sources, la liste pourrait obtenir un seuil électoral élevé, qui augmentera les chances des partis qui la composent, même si chacun bénéficie seul de ses votes préférentiels.

En outre, elles se félicitent du grand nombre d’émigrés inscrits, car selon elles, " 80 pour cent d’entre eux sont souverainistes, et c’est pourquoi l’autre camp a essayé d’annuler leur vote ". Quant à la société civile, ces sources estiment qu’elle est plus proche du 14 Mars que du 8 Mars, et prévoient de collaborer avec elle au Parlement.