Une source de fierté et de développement pour l’Ethiopie, un cauchemar pour le Soudan et surtout pour l’Egypte. Le grand barrage de la Renaissance éthiopien dont le chantier a été lancé en 2011 a commencé dimanche à fournir de l’électricité après la mise en marche de la première turbine qui fournit 375 MW sur les 5000 MW prévus à la fin des travaux. Ce projet très controversé tant pour son coût (4,2 milliards de dollars) que pour ses répercussions sur les pays de la région a déclenché depuis sa mise en chantier un contentieux avec le Soudan et l’Egypte, tous deux tributaires du Nil pour leurs ressources hydrauliques. L’Ethiopie a même acquis auprès de la firme israélienne Rafael le système de missiles anti-aériens de courte et moyenne portée " Spyder-MR " pour protéger le barrage d’une possible attaque aérienne égyptienne.

Le projet du barrage à son état actuel dans une photo prise du site Google Earth et fournie par Maxar technologie et Airbus.

En effet, le Caire invoque un " droit historique " sur le fleuve, garanti depuis un traité signé en 1929 entre l’Egypte et le Soudan, alors représenté par le Royaume-Uni, puissance coloniale. L’Egypte avait obtenu un droit de veto sur la construction de projets sur le fleuve. En 1959, après un accord avec Khartoum sur le partage des eaux, l’Egypte s’était attribué un quota de 66% du débit annuel du Nil, contre 22% pour le Soudan.

N’étant pas partie prenante de ces accords, l’Ethiopie ne s’est jamais considérée liée par eux et, en 2010, un nouveau traité signé par les pays du bassin du Nil, qui prend sa source en Ouganda, a supprimé le droit de veto égyptien et autorisé des projets d’irrigation et de barrages hydroélectriques. Saisie l’été dernier, l’ONU avait recommandé aux trois pays de poursuivre leurs pourparlers sous l’égide de l’Union africaine (UA). Le Caire et Khartoum, inquiets pour leur approvisionnement en eau avaient demandé à Addis Abeba de stopper le remplissage du barrage. L’Ethiopie avait néanmoins procédé en juillet dernier à la seconde phase de remplissage du barrage, annoncé comme un des plus gros d’Afrique avec un objectif de production initiale de 6.500 mégawatts, revu à la baisse à 5.000 MW, soit le double de la production actuelle de l’Ethiopie. Situé sur le Nil Bleu, à une trentaine de kilomètres de la frontière soudanaise, le Grand barrage de la Renaissance est long de 1,8 kilomètre et haut de 145 mètres.

Dimanche le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a présidé le lancement de la production du Gerd (" Grand Ethiopian Renaissance Dam ") en déclarant " la naissance d’une ère nouvelle ". " C’est une bonne nouvelle pour notre continent et pour les pays en aval avec lesquels nous aspirons à travailler ensemble ", a-t-il ajouté sur Twitter. " Comme vous le voyez, cette eau génère de l’énergie puis continue de couler comme avant vers le Soudan et l’Egypte, contrairement aux rumeurs qui affirmaient que les Ethiopiens voulaient bloquer l’eau pour les affamer ", a affirmé Abiy Ahmed.

Accompagné de nombreux hauts responsables du pays, Abiy Ahmed a effectué une tournée dans la centrale électrique et a cliqué une série d’interrupteurs sur un écran électronique pour déclencher la production du barrage. " Ce grand barrage a été construit par les Ethiopiens, mais au bénéfice de tous les Africains, pour que tous nos frères et soeurs d’Afrique en profitent ", a affirmé un haut responsable participant à l’inauguration. " Cette journée, pour laquelle les Ethiopiens ont tant sacrifié, que les Ethiopiens ont tant espérée, pour laquelle ils ont tant prié, cette journée est enfin là ", a-t-il ajouté en présidant la courte cérémonie de lancement.Au lancement du projet, chaque fonctionnaire avait été appelé à contribuer un mois de salaire au financement du barrage. Par la suite, de nombreux emprunts publics avaient également sollicité les économies des Ethiopiens. Dimanche, divers responsables éthiopiens ont loué les efforts d’Abiy Ahmed pour achever le financement d’un projet qui a longtemps frôlé l’échec. " Notre pays a tant perdu, surtout financièrement, en raison des retards de travaux ", a souligné le directeur général du projet Kifle Horo, lors de ses remarques d’ouverture. En l’absence de comptabilité officielle précise, le coût total du projet a été estimé par les experts à 4,2 milliards de dollars (3,7 mds d’euros).

Avec AFP