Amnesty International a fait état mardi de crimes guerre perpétrés par la Russie en Ukraine alors même que le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov venait d’affirmer que son pays n’est pas concerné par la Cour pénale internationale. Les exactions ont lieu surtout dans la ville-martyre de Marioupol, où l’armée russe est accusée d’avoir ouvert des couloirs d’évacuation pour bombarder les civils. Mardi porte cependant une lueur d’espoir grâce à la tenue des négociations à Istanbul entre les envoyés russes et ukrainiens. La réunion pourrait être fatale, au vrai sens du terme, car des négociateurs ukrainiens ainsi que l’oligarque russe Roman Abramovitch ont souffert de symptômes qui font penser à un possible empoisonnement…

Le même Peskov a déjà annoncé la couleur en exprimant qu’il n’espérait pas grand-chose de cette rencontre. Côté ukrainien, le président Zelensky compte proposer un cessez-le-feu et un dialogue avec le président poutine directement. La veille, il a déclaré qu’il était prêt à discuter toutes les questions ayant rapport à la neutralité de son pays. Il a été jusqu’à accepter des discussions sur les statuts des deux " républiques " séparatistes du Donbass. Mais, le très soviétique chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a balayé d’un revers de la main cette proposition en arguant qu’une rencontre entre les deux présidents serait " contre-productive ".

Sur le terrain, malgré la poursuite de l’offensive russe dans plusieurs villes, les Ukrainiens pouvaient s’enorgueillir d’avoir repris la banlieue Nord de Kiev et même d’avoir lancé une contre-offensive à Kherson, la seule ville tombée aux mains des Russes.

Une avancée a été réalisée à Kharkiv, la deuxième ville du pays, où les militaires ukrainiens ont pu reprendre un village au bout d’un combat acharné. Deux nouvelles inquiétantes ont cependant signalé la poursuite de l’offensive russe, le Tchétchène Kadyrov est réapparu à Marioupol, selon ses dires, alors que les SR britanniques affirmaient que le Groupe Wagner participe au combat avec les séparatistes à l’Est.

 
Les autorités ukrainiennes s’inquiétaient lundi d’une aggravation de la situation dans le port assiégé de Marioupol, où au moins 5.000 personnes auraient déjà péri, à la veille de nouveaux pourparlers entre négociateurs russes et ukrainiens à Istanbul.  Selon une conseillère de la présidence ukrainienne, Tetyana Lomakina, " environ 5.000 personnes ont été enterrées, mais les gens ne sont plus enterrés depuis dix jours à cause des bombardements continus ". Elle a estimé qu' "au vu du nombre des personnes encore sous les décombres (…), il pourrait y avoir autour de 10.000 morts ".Plus d’un mois après le début de l’invasion russe, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait dénoncé dimanche un blocus total de cette cité portuaire stratégique sur la mer d’Azov, dont l’armée russe tente de s’emparer depuis fin février, et où environ 160.000 personnes sont toujours coincées, selon son maire Vadim Boïtchenko. "Toutes les entrées et sorties de la ville sont bloquées (…), il est impossible de faire entrer à Marioupol des vivres et des médicaments ", a affirmé dimanche soir M. Zelensky, accusant les forces russes de bombarder les convois d’aide humanitaire.Et avec l’annonce vendredi par Moscou d' "une concentration de ses efforts sur la libération " du Donbass, un conseiller de la présidence ukrainienne a dit redouter une " aggravation " de la situation dans cette ville située au sud de ce bassin minier.

Des médias russes ont affirmé lundi que le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, un proche de Vladimir Poutine, s’était rendu à Marioupol pour galvaniser ses troupes qui participent à l’assaut.

En outre, l’Ukraine a annoncé avoir des " preuves " de l’utilisation par les forces russes de bombes à sous-munitions, des armes interdites par les conventions internationales, dans deux régions du sud de son territoire, celles d’Odessa et de Kherson.

Irpin " libérée "

L’Ukraine a annoncé lundi soir qu’Irpin, théâtre de féroces combats dans la banlieue de Kiev, a été " libérée " des forces russes.  " Les occupants sont repoussés d’Irpin, repoussés de Kiev. Cependant, il est trop tôt pour parler de sécurité dans cette partie de notre région. Les combats continuent. Les troupes russes contrôlent le nord de la région de Kiev, disposent de ressources et de main-d’œuvre ", a déclaré le président Zelensky dans une déclaration vidéo lundi soir.

Dans les régions de Tchernigiv, Soumy, Kharkiv, du Donbass, et dans le sud de l’Ukraine " la situation reste partout tendue, très difficile ", a-t-il souligné, ajoutant que les " troupes russes n’ont permis " l’organisation d’aucun " corridor humanitaire " lundi.  D’autres combats se déroulaient par ailleurs dans plusieurs localités autour de la capitale.

" L’ennemi tente d’effectuer une percée autour de Kiev et de bloquer les routes ", a affirmé Ganna Malyar, vice-ministre de la Défense, à la télévision ukrainienne, soulignant que " la défense de Kiev " se poursuivait.

A Stoyanka, à la lisière ouest de Kiev, un village devenu fantôme après des semaines de bombardements, certains de ses habitants faisaient leur retour, après avoir entendu que les forces ukrainiennes avaient chassé les troupes russes. Mais à un point de contrôle, un combattant ukrainien les mettait en garde contre les snipers russes, qui continuent à tenir dans leur viseur les rues désertées.

Avancée à Kharkiv
Des combats acharnés se déroulaient aussi dans l’est. A la périphérie nord-est de Kharkiv, la deuxième ville d’Ukraine, proche de la frontière russe, Saltivka, quartier populaire de hautes barres d’immeubles pilonné quasi quotidiennement par l’armée russe, n’est plus qu’une cité désertée balayée par les vents où ne survivent, terrés dans les caves, qu’une poignée de vieillards traumatisés, selon des journalistes de l’AFP. Les soldats ukrainiens ont en revanche repris le contrôle de Mala Rogan, un petit village à environ quatre kilomètres à l’est de Kharkiv, a constaté l’AFP, qui a vu deux corps de soldats russes gisant dans une allée et plusieurs blindés russes détruits.
Groupe Wagner

Dans l’Est du pays sont aussi déployés des mercenaires russes du groupe Wagner, a indiqué lundi le ministère britannique de la Défense qui estime que plus de 1.000 combattants de la sulfureuse société paramilitaire pourraient être amenés à combattre dans le pays.  Réputés proches de Vladimir Poutine, le groupe Wagner et ses paramilitaires sont soupçonnés d’exactions au Mali, en Libye ou encore en Syrie.

" En raison de lourdes pertes et d’une invasion (en Ukraine) largement bloquée, la Russie a très probablement été forcée de redéployer son personnel Wagner pour l’Ukraine au dépend des opérations en Afrique et en Syrie ", estime Londres.

Mi-mars, l’Observatoire syrien des droits de l’Homme avait affirmé que la Russie avait établi des listes de 40.000 combattants de l’armée syrienne et de milices alliées prêts à être déployés en Ukraine.

Selon un responsable occidental vendredi, les forces russes concentrent leurs efforts en Ukraine sur le Donbass où elles font face à " la mieux équipée et la plus entraînée des forces ukrainiennes ".  En réponse, selon cette source, " les forces séparatistes, avec en renfort les forces russes et du personnel du groupe Wagner dans les régions de Lougansk et de Donetsk, essayent de les encercler ".

Dans le sud, l’étau russe semblait aussi se desserrer autour de certaines villes, comme Mykolaïv, une ville-verrou sur la route d’Odessa, le plus grand port d’Ukraine, dont les habitants semblaient retrouver un peu d’espoir, après des semaines terribles pendant lesquelles l’armée russe a tenté en vain de prendre leur cité.Le front a même sensiblement reculé, avec une contre-offensive ukrainienne sur Kherson, à quelque 80 km au sud-est, seule ville d’importance dont l’armée russe ait revendiqué la prise totale depuis le 24 février.

 

Moscou refuse une rencontre Poutine-Zelensky

Sur le front diplomatique, les négociateurs russes sont arrivés lundi à Istanbul pour une nouvelle session de pourparlers avec les Ukrainiens qui devrait débuter mardi.

Une précédente séance de négociations en présentiel avait déjà eu lieu le 10 mars en Turquie, au niveau des ministres des Affaires étrangères, mais n’avait débouché sur aucune avancée.

Les discussions s’étaient ensuite poursuivies en visioconférence pour tenter d’arrêter ce conflit qui a déjà contraint près de 3,9 millions d’Ukrainiens à fuir leur pays selon l’ONU et causé plus de 500 milliards d’euros de pertes économiques à l’Ukraine, selon une estimation de Kiev.

Un des points importants des négociations porte sur " les garanties de sécurité et la neutralité, le statut dénucléarisé de notre Etat ", a déclaré dimanche le président Zelensky à des médias russes.  Ce point " est étudié en profondeur ", mais il rendra nécessaires un référendum et des garanties de sécurité, a-t-il prévenu, accusant Vladimir Poutine et son entourage de faire " traîner les choses ".

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a cependant tempéré les attentes lundi, affirmant que les négociations jusqu’ici n’avaient pas produit d' "avancées significatives ".

Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a jugé qu’une rencontre entre Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky, que ce dernier appelle de ses voeux, serait pour l’heure " contre-productive ". Il l’a fait dépendre de la satisfaction des exigences de Moscou dans les négociations, dont la " démilitarisation " et la " dénazification " de l’Ukraine.

M. Lavrov a de son côté annoncé qu’un décret était en préparation pour limiter l’accès au territoire russe aux ressortissants de pays auteurs d’actes " inamicaux " à l’égard de la Russie, visée par une multitude de sanctions depuis le déclenchement de son offensive.

Il n’a cité aucun pays précis, même si Moscou a publié début mars une liste de pays inamicaux incluant notamment les Etats-Unis et les pays de l’Union européenne.

Londres a mis en garde lundi contre des négociations avec la Russie revenant à " brader " l’Ukraine.  L’ONU va, elle, chercher à instaurer un " cessez-le-feu humanitaire " entre la Russie et l’Ukraine.

Avec AFP