De lassitude, de désespoir, quelques colonnes de nos silos ont fini par rendre l’âme, par abandonner la partie.

Elles ont essayé de tenir bon, de faire comme si. De leur côté intact, elles étaient fières d’avoir protégé une partie de Beyrouth, et de l’autre, elles montraient leur face défigurée, éventrée, hideuse n’en finissant pas de s’excuser de ne pas avoir pu protéger l’autre partie de la capitale.

Ce silo, ces colonnes, c’est chacun de nous qui, vaille que vaille, continue de vivre, de faire comme si, tout en se consumant doucement de l’intérieur. Comme le blé.

Ce blé nous nourrissait, puis il a pourri, puis il a brûlé.

Ce blé est hautement symbolique, c’est le pain, le pain quotidien.

Le blé veut aussi dire l’argent. L’argent du nitrate. L’argent aussi qu’ils ont volé au nez et à la barbe des déposants. L’argent qu’ils n’arrêtent pas de voler dans les caisses de l’État, laissant la population dans le noir, sans blé, sans pain, sans argent.

À l’instar de ce qui reste des silos, nous sommes encore debout, mais vacillants et fumants. Pour certains. Pour d’autres la partie est presque terminée, ils abandonnent, et pour d’autres encore, ils ont laissé derrière eux les silos dans le sillage d’un avion qui les emmène au loin. Meurtris.

À ce pays exsangue, à ces femmes et ces hommes qui savent si bien cacher leur traumatisme et leur peine, il faudrait leur, nous, dédier un monument. À eux, à tous ceux qui aident, s’aident, s’entraident, gardent un visage souriant et avenant, à ceux qui tendent la main.

Et aux hommes au pouvoir, votre criminel silence depuis deux ans est assourdissant.

Pas un mot. Pas une reconnaissance des faits. Pas de deuil national. Pas un mot, pas un geste.

Je ne sais pas si un jour quelqu’un d’entre nous aura gain de cause, si vous allez payer, si nous allons gagner, si la justice arrivera un tant soit peu à reprendre ses droits, mais en attendant, ce sont les femmes et les hommes du Liban qui portent la vie et sa sève, et à vous, nous laissons la mort et sa philosophie.

L’édito de Myriam Nasr

https://www.agendaculturel.com/article/le-ble-et-largent-du-ble