Le film de Joana et Khalil Joreige, Memory Box, poursuit son succès et s’élève vers des sommets de plus en plus prestigieux. Il a été sélectionné pour représenter le Liban à la cérémonie des Oscars 2023. Une fierté de plus pour le couple de cinéastes qui porte, de film en film, bien haut le nom du pays du Cèdre. Joana Hadjithomas Joreige répond aux questions d’Ici Beyrouth.

Joana et Khalil Joreige

Quel effet ça vous fait-il de voir Memory Box représenter le Liban aux Oscars 2023?

Memory Box est un film très particulier pour nous à plusieurs niveaux. Il est d’abord très personnel (basé sur des cahiers écrits de façon quotidienne pendant six ans, de 1982 à 1988, à ma meilleure amie partie vivre à Paris, et les photos de Khalil faites à la même période). Ensuite, nous l’avons tourné en 2019, juste avant l’effondrement total du Liban et toute la période du Covid-19. Le film cherchait à transmettre nos années d’adolescence, leur intensité, mais aussi toutes les années 80 à nos enfants, et il s’est transformé pour devenir une lettre d’amour au Liban et au cinéma dans ces temps troubles et tragiques que nous traversons. Que ce film, cette lettre, n’arrête pas de voyager à la rencontre de différents publics et qu’il se retrouve aujourd’hui à représenter le Liban aux Oscars nous rend bien entendu très émus et fiers de penser qu’un certain cinéma peut continuer à exister pleinement. Et puis, c’est aussi une façon de rendre hommage aux acteurs, aux producteurs, à toute notre équipe. Le cinéma est un travail totalement collaboratif, c’est donc une occasion de célébrer avec tous ceux qui ont fait ce film avec nous.

 Quelles sont vos attentes autour de cet événement?

Être sélectionné aux Oscars pour le meilleur film étranger, c’est se retrouver en compagnie de – et en compétition avec les films sélectionnés par tous les pays hormis les États-Unis. Donc vous imaginez que les concurrents sont très nombreux. Mais c’est aussi une manière de continuer à faire vivre le film, à le partager, à le montrer et c’est toujours un très beau moment. Bien sûr, on aimerait aller le plus loin possible, mais nous prenons toujours avec recul et relativité les compétitions dans le domaine de l’art ou du cinéma. Ici, les enjeux sont importants parce que les films en langues étrangères, et plus spécialement en arabe, existent très peu (ou pas) aux États-Unis. Le cinéma, c’est ce qui construit l’imaginaire, ce qui vient contrer certains stéréotypes, et c’est une bonne manière de montrer une représentation de nous-mêmes, qui émane de nous, qui nous ressemble. Raconter nos histoires, c’est aussi reprendre possession de notre histoire.

Quel est le bilan de Memory Box à ce jour?

Memory Box a commencé son voyage en compétition à Berlin en mars 2021, a fait le tour des festivals internationaux à travers le monde et continue de le faire. Il est sorti dans plus de 40 pays et est resté neuf semaines à l’affiche au Liban, et ça n’arrête pas. Memory Box nous échappe et aujourd’hui, diverses générations, et particulièrement la nôtre et celle de nos enfants, se sont appropriées le film. Le plus touchant, ce sont tous ces messages que nous recevons des cinéphiles qui saluent l’audace formelle du film, mais surtout des jeunes libanais qui nous remercient d’avoir libéré une certaine parole dans leur famille. Et ça, pour nous, ça n’a pas de prix. Nous faisons nos films et nos œuvres d’art de façon poétique, mais aussi politique. Et l’écho que provoque le film nous semble aujourd’hui témoigner du besoin de transmettre et de continuer malgré tout à se projeter dans un futur qui semble bien fragile.

Bélinda Ibrahim
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