"Je ne lui dirai rien du tout, c’est fini, je lui ai dit cent fois, on ne peut pas faire le bonheur des gens malgré eux." Le Mur, Jean-Paul Sartre.

Jidar (Le Mur) est adapté par André Bou Zeid qui écrit, met en scène et joue, sous le regard pointilleux de Aïda Sabra. Même si Sartre a le dos tourné, André Bou Zeid affirme être resté fidèle au texte original, tout en "libanisant" quelques concepts.

"Je voudrais n’avoir pas de dos, je n’aime pas que les gens me fassent des trucs quand je ne les vois pas." Le Mur, Jean-Paul Sartre.

La pièce se joue au théâtre Le Monnot, les 8, 9, 10, 11, 13, 14, 15 et 16 décembre 2022.

Parlez-nous de votre parcours théâtral. Est-ce votre première pièce?

Ma première expérience scénique remonte à 2004, avec Camil Salamé. J’étais alors étudiant. J’ai enchaîné en jouant une pièce chaque année, neuf pièces en tout et pour tout. Ensuite, il y a eu une période de relâche jusqu’en 2019, où j’ai monté ma propre pièce, Jidar (Le Mur). C’est, en effet, ma propre pièce en tant qu’auteur, metteur en scène et producteur.

   

S’attaquer au grand Sartre pour le "libaniser", n’était-ce pas un risque pour vous?

Quand j’ai lu cette nouvelle, elle s’est incrustée dans ma tête. Je la visualisais sans cesse en pièce, en film ou en série télé. Quand je lis, je ne le fais pas comme la plupart des lecteurs. Je vois des images. Là fut mon point de départ vers la philosophie présente dans cette pièce, l’existentialisme. J’ai donc décidé de la mettre en scène.

C’est évidemment un très grand risque que de traduire la philosophie de Jean-Paul Sartre qui ne s’adresse pas à un public, ni à un pays précis. D’un, j’adapte cette nouvelle en pièce de théâtre. De deux, nous sommes conscients que la traduction est parfois infidèle. Il y avait donc deux risques majeurs: celui de l’adaptation et celui de la traduction. Je suis resté fidèle au texte de Sartre tout en "libanisant" certains concepts.

À ces deux risques, s’ajoute celui de la réception du public libanais. Comment réagirait-il à cette entreprise? Voilà en résumé les risques auxquels je me suis confronté. Par ailleurs, toute entreprise, qu’elle soit artistique ou commerciale, comporte des risques.

De toute façon, la vie n’est pas intéressante sans risque.

Pourquoi avoir opté pour un monodrame comme première pièce?  Cela ne demande-t-il pas plus de courage?

Lorsque j’ai écrit l’adaptation de la nouvelle en pièce de théâtre, l’idée m’est venue de l’exécuter en monodrame. Dans la nouvelle, il y a environ neuf personnages. La pièce dure 45 minutes. La jouer avec neuf acteurs n’était pas logique. Ce n’était pas mon but d’être seul sur les planches. On aurait pu être deux ou trois, ou même toute une équipe. C’est juste que c’était ma première perception et je l’ai poursuivie. En fait, j’avais travaillé à cette adaptation en 2006, alors que je préparais mon diplôme d’études supérieures à l’Université libanaise. Cependant, j’ai changé d’avis et pris une tout autre direction: The Goat or Who Is Sylvia? d’Edward Albee.

Cette pièce est toutefois restée ancrée en moi. J’ai pu la réaliser en décembre 2019 quand, juste après la révolution, le théâtre Al Madina a ouvert ses portes aux acteurs, et Aïda Sabra, mon enseignante qualifiée, m’a encouragé à présenter mon projet.

Comment s’est faite l’adaptation du texte et la réécriture?

Comme je l’ai mentionné, j’ai travaillé cette pièce comme je la visualisais, en scènes et non en images. En ce qui concerne le texte, je l’ai travaillé comme un monodrame. Pour ce qui est de la mise en scène, la pièce nécessitait un grand investissement physique et professionnel. La pièce comportant neuf personnages, il fallait faire une bascule claire de l’un à l’autre. Les circonstances ont voulu que ce soit ainsi. Le risque consistait dans le fait que c’était mon premier travail. On pourrait penser que c’était présomptueux de ma part de cumuler les trois casquettes d’auteur, d’acteur et de metteur en scène. Une fois construite la dramaturgie de la pièce, quand vient le temps de jouer sur scène, même si metteur en scène et acteur ne font qu’un, un regard extérieur est nécessaire.

Pourquoi Aida Sabra?

Pourquoi pas? Elle compte parmi les meilleurs metteurs en scène et acteurs au Liban. Ses étudiants l’apprécient énormément. Elle est très professionnelle et très pointue pour ce qui est de la construction des personnages. C’est une metteuse en scène affranchie, une enseignante de théâtre et une mime reconnue au Moyen-Orient. Je n’aurais pas pu trouver mieux pour me diriger dans la transition entre les personnages. Personne d’autre n’aurait pu appliquer cette technique à cette œuvre. Sur le plan humain, Aïda fait partie de ces personnes avec qui le lien n’a jamais été coupé. Après avoir obtenu mon diplôme, on se rencontrait toujours au théâtre. Même après son départ, nous sommes restés en contact. Je suis aussi proche de son mari Zaki, qui est un acteur et un mime confirmé. Je les consulte en tant qu’enseignants et amis. Elle a aussi pris l’avion deux jours avant ma représentation, pour les répétitions, sans rien accepter en contrepartie.

Continuez-vous de communiquer, maintenant qu’elle est à l’autre bout du continent, avant de monter sur les planches?

Oui, nous sommes quotidiennement en contact, grâce aux réseaux sociaux.

Pensez-vous que le jeu, tel que vous l’avez conçu, est toujours là?

La pièce a mûri. Seules quatre représentations avaient pu se faire avant la pandémie. Voilà pourquoi j’ai eu envie de remettre ma pièce sur les planches. Tous mes collègues m’ont encouragé dans ce sens. C’est gratifiant dans le contexte oppressant qui est le nôtre. Pour les amateurs, et ils sont nombreux, le théâtre est une échappatoire. Les mêmes visages sont là, les représentations se prolongent…

De plus, il est possible de rejouer la même pièce après trois ans d’arrêt, parce que la base est là, seulement mûrie. Les répétitions actuelles ne sont pas aussi ardues qu’il y a trois ans.

 

Quelle est votre impression du théâtre Le Monnot?

C’est la première fois que je joue sur les planches de l’ACT. En toute sincérité, ce que Josyane Boulos entreprend est extraordinaire; son énergie, son dynamisme, son esprit, son soutien, sa communication, ses conseils techniques… Hagop Derghougassian offre aussi son soutien en termes d’éclairage et de technique. L’équipe de l’éclairage est très professionnelle. Ce théâtre est l’un des plus performants dans lesquels j’ai travaillé. Je suis fier qu’un théâtre pareil existe au Liban, et ce n’est pas le seul. J’espère que nous aurons toujours cette belle énergie. Je tiens à remercier également la Librairie Antoine pour sa précieuse collaboration.

Marie-Christine Tayah
Instagram : @mariechristine.tayah