Les mises en scène du Requiem de Mozart sont assez rares pour toujours attirer l’attention et celle qui s’ouvre vendredi au Grand-Théâtre de Bordeaux (sud-ouest de la France) échappe d’autant moins à la règle qu’elle constitue la première production " zéro achat " d’une maison d’opéra nationale.

Grand consommateur de décors, l’art lyrique aspire à des pratiques plus sobres. En décembre, cinq grandes scènes – l’Opéra de Paris, l’Opéra de Lyon, le Théâtre du Châtelet, le Festival d’Aix-en-Provence et le Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles – se sont engagées à réduire leur empreinte carbone via la fabrication standardisée d’éléments scéniques. L’institution bordelaise pousse la logique plus loin avec ce Requiem sans achat de matériel pour la réalisation des décors, costumes et accessoires, mis en scène par Stéphane Braunschweig avec Roberto Gonzalez-Monjas à la direction musicale. Sept représentations sont programmées jusqu’au 28 janvier.

Il a fallu pour cela puiser dans les 5.000 m2 de réserves de l’Opéra. " Le décorateur et le metteur en scène voulaient une caisse fermée sur le plateau : on a proposé des cadres de récupération et ils ont choisi des châssis miroirs qui avaient servi pour Macbeth (joué à Bordeaux en 2012) ", indique Pilar Camps, responsable du bureau d’études. Des voiles blancs, utilisés sur le ballet Celestial, ont été recyclés, ainsi que des fonds, frises et pendillons noirs, et un tapis de danse. De même pour la quarantaine de costumes : le stock de vêtements contemporains a été mis à contribution, avec les retouches nécessaires.

" Ce sont des âmes perdues que l’on représente ; dans cette idée de silhouette fantomatique, on a coupé les bas de manches, les bas de jupes, pour retrouver un tissu en bord franc, sans rigidité ni lourdeur ", explique Claire Gollentz, une couturière qui a travaillé sur le projet. La production a aussi fait appel à des circuits alternatifs pour se procurer certains éléments : un fabricant de caisses de vin a fait un don de planches de bois pour fabriquer 18 cercueils, à l’allure volontairement rudimentaire.

Une partie des tenues a été créée à partir de pièces récupérées auprès d’une friperie solidaire et un spécialiste du vêtement professionnel a pioché dans ses invendus pour fournir des tee-shirts, dits " de propreté ", que les artistes portent sous leurs costumes – le flocage de ceux-ci, inspiré de la pluie de cendres du 11 septembre 2001 à New York, rendant leur lavage impossible d’une représentation à l’autre. " Le zéro achat, c’est aussi replacer l’Opéra dans une continuité d’activités beaucoup plus large que le spectacle, et il en a besoin ", estime le directeur général de l’ONB, Emmanuel Hondré.

Pas question cependant que la démarche environnementale – et budgétaire, avec ici quelque 40.000 euros d’économies – l’emporte sur le projet artistique : " Si on a l’impression d’une scénographie de deuxième ordre, on aura raté notre objectif ", insiste celui qui voit dans l’expérience " une autre manière d’être créatif ". " On est là, d’abord, pour faire de la musique et tenter de mettre en scène une œuvre religieuse, une messe des morts, en lui donnant un éclairage un peu différent ", abonde Stéphane Braunschweig.

Le directeur du Théâtre de l’Odéon à Paris a souhaité faire résonner " le rapport de Mozart à la mort dans son œuvre " – il est décédé en 1791 sans achever la partition – avec le vécu d’aujourd’hui : " Ces caisses de bois, c’est comme des cercueils que l’on construit à la va-vite quand il y a des épidémies, des guerres ". Au final, tout s’articule dans le dépouillement de la scène qui renvoie à la condition humaine et interroge la possibilité d’une autre vie après la mort : " C’est le sujet du Requiem, mais c’en est un aussi pour les matériaux, pour l’environnement, pour tout ce qui nous entoure ", considère Emmanuel Hondré.

AFP