Hicham Taher, peintre irakien engagé, ayant déjà exposé ses œuvres en Syrie, en Turquie et en Jordanie, fait sa première exposition en solo, Cheers, à Beyrouth, à la galerie Aïda Cherfan, du 7 au 30 mars. 

Avec Cheers, titre de l’exposition de Hicham Taher, on s’attend à trinquer à la joie et la bonne humeur dans une atmosphère de chaude convivialité. Or l’artiste adopte un ton ironique pour dénoncer avec amertume l’indifférence des dirigeants qui, trônant au sommet de l’Olympe, trinquent avec insouciance, dans un déni total des souffrances du peuple qu’ils mènent à sa perte.

Le mot Cheers revêt alors un tout autre sens pour mobiliser esprits et consciences, témoigner de cet état de siège dont l’individu est victime et susciter chez le spectateur révolte, colère et indignation.

Les couleurs sombres, bleu nuit, noir ou gris foncé, participent à plomber l’atmosphère et à construire en formes géométriques et quasi abstraites l’arène où se jouent les enjeux du pouvoir. S’engage alors un combat sans merci pour conquérir des territoires, évincer "l’Autre" perçu comme rival ou adversaire; combat personnifié par des chaises qui s’entrechoquent, se bousculent et s’affrontent dans un corps à corps, créant désordre et chaos, et poussant la tension à son paroxysme.

Le siège sur lequel s’installe l’indigence du pouvoir devient alors le centre d’une mise en scène où la chaise est représentée dans tous ses états: assise du pouvoir ou pôle d’attraction, disputée par les hommes en mal de puissance afin d’y asseoir leur égo et leur indifférence.

La chaise se déplace de toile en toile, envahit l’espace, prend de l’ascendant sur l’humain, crée trouble et confusion. L’homme devient lui-même outil indifférencié, objet de manipulation semblable à ces chaises rangées par numéro et catégorie, et personnification du troupeau asservi et servile. 

Le symbole de la chaise se décline ainsi à l’infini pour décrire le processus d’instrumentalisation de l’individu, de sa déshumanisation. Elle se transforme aussi en monstre quand se déchaîne la bête avide de puissance dans un déferlement de pulsions guerrières, meurtrières, nourries par la peur du manque et la crainte de "l’Autre".

La toile dévorée par le rouge écarlate et l’orange fauve devient espace d’affrontement pour un combat des chefs débouchant sur un bain de feu et de sang. On assiste alors à une sorte de débâcle, un basculement dans un monde déboussolé, sans valeurs et sans repères, où les chaises semblent tourner en rond dans un cercle vicieux, une sorte d’enfermement.

Sur une autre toile, un jaune intense illumine l’espace pour rappeler, selon l’artiste, le processus de fusion qui opère souvent entre l’homme et le pouvoir, quand le dirigeant finit par incarner l’instrument lui-même devenu révélateur de sa nature profonde selon qu’il l’utilise dans le sens du bien ou du mal.

Malraux définissait bien le pouvoir par la possibilité d’en abuser. La nature humaine étant ce qu’elle est, il n’en demeure pas moins qu’il faut rendre hommage aux hommes de bonne volonté, à tous ceux qui, contre vents et marées, continuent de faire avancer le monde pour le bien de l’humanité. Il faut continuer d’y croire, s’en inspirer et lever bien haut nos verres pour trinquer en leur honneur et clamer le mot de la fin: Cheers.

Jocelyne Ghannagé

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