Nous vivons une époque formidable où chacun se méfie de l’autre. Approcher la première personne croisée dans la rue? Quelle drôle d’idée! Elle pourrait être "covidée", instable, asociale, renfermée, misanthrope, hantée par l’idée de microbes-sauteurs, barricadée derrière son masque de protection, armée de son gel hydroalcoolique, alcoolique… démarche insensée, et pourtant, c’est ce que David Foenkinos a choisi de faire (faire) à son narrateur dans *La Famille Martin*, paru chez Gallimard en 2020, roman qui explore les limites entre la vraie vie et la fiction et qui donne pleins pouvoirs à l’écrivain, assigné de modifier le cours des événements, de bousculer le statu quo où s’assoit le quotidien des personnes qui l’entourent. À quelle fin? Pour écrire un roman, tout simplement!

Un écrivain en mal d’inspiration décide d’écrire l’histoire de la première personne qu’il croise dans la rue. Il tombe sur Madeleine Tricot, une vieille dame bienveillante qui l’invite chez elle et commence à lui raconter sa vie. Inquiète que sa mère ne se soit embarquée dans une histoire avec un escroc, la fille de Madeleine, Valérie, ne tarde pas à s’incruster dans la technique saugrenue de cet écrivain effronté qui s’arrange à gagner sa confiance. Mariée à Patrick Martin, un cadre soumis au stress dans son travail, victime d’un patron tyrannique, Valérie ne tarde pas à occuper la scène principale du récit par sa présence persistante. Et lorsque le narrateur se fait discret, elle le prend par la main pour l’inviter à manger à la maison, pour le conduire dans ses petits secrets, comme la disparition en apparence injustifiée de sa sœur Stéphanie. Et voilà comment notre écrivain, originairement porte-plume attitré mais pas biographe pour autant de Madeleine Tricot, intègre le foyer des Martin.

Dans ce récit qui démarre par petite action sur l’accélérateur, David Foenkinos donne voix à l’écrivain qui glisse dans la peau de l’auteur lui-même, des références autobiographiques jalonnant le récit, déroutant un peu le lecteur. Dans l’attente que quelque chose se passe, l’attention du lecteur balance entre la famille Martin et Tricot, entre Lola amoureuse d’un garçon abusif, ou Jérémie l’adolescent rebelle, ou entre Patrick, Valérie et Stéphanie, ou entre le narrateur et Marie, ou entre Paris et New-York où le narrateur décide d’embarquer Madeleine pour y retrouver son amour de jeunesse. Le lecteur tente la recherche d’un fil rouge et se retrouve en train de démêler des nœuds. Et cerise sur le gâteau de ce papillonnage, dans ce décor parsemé de microcosmes, voilà que deux Polonais qui n’avaient rien demandé, se retrouvent forcés d’exister dans l’histoire pour que le livre puisse voir le jour.

Tout cela ne tient pas debout, mais c’est précisément l’errance entre les pages qui donne un sens au roman.

Peut-être que chacun devrait faire l’effort d’aller vers l’autre, qu’il soit écrivain inventé ou pas. La famille Martin ou une autre famille, qu’importe, mais s’intéresser à l’individu dans la collectivité est un bel exemple, en théorie, qui pourrait faire un bien fou à la société. Peut-être qu’il est temps de briser le mur de la peur, de tordre le cou aux réseaux sociaux, à la froideur des rapports qui se jouent derrière les écrans. Chacun de nous est un roman, même les gens ordinaires, même dans la banalité du quotidien. Il faut gratter l’écorce lisse des vies discrètes et les faire éclater au soleil!

La Famille Martin de David Foenkinos, Gallimard, 2020, 272 p.

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