Ce n’est pas par hasard que "Perfect Strangers", quelle que soit sa langue de production ou son pays de visionnage, ainsi que les mœurs de ces pays-là, fait couler tant d’encre. Ce film est loin d’être un jeu innocent. Il relève davantage d’une succession de traquenards pervers, à même de faire couler les ancres les plus solidement accrochées… en apparence. Chronique postvisionnage du film dans sa version originale, Perfetti sconosciuti, de Paolo Genovese.

Il s’agit (tout le monde le sait déjà) de la vie de couples et d’individus, lisse en surface, que l’on découvrira assez vite construite sur des édifices branlants. À l’occasion d’un dîner qui réunit cette bande "d’amis", l’idée saugrenue d’un jeu qui consiste à jouer leurs vies cartes sur table, voire portables sur table, à découvert, prendra des proportions extrêmes jusqu’à faire exploser ce qui était déjà fissuré dans l’ombre. Ce qu’ils feront par la suite de leurs découvertes colle parfaitement à la réalité des sociétés hypocrites (comme la nôtre, osons le dire!) qui préfèrent le confort du mensonge à une confrontation qui dérangerait un "équilibre" installé. Simuler est le mot d’ordre et le mot de la fin. Est-ce étonnant? Non.

Aucun des protagonistes ne choisit d’aller jusqu’au bout de sa quête, d’assumer le naufrage de son couple, de réagir et de prendre des décisions drastiques, c’est cela qui est le plus choquant, voire le plus questionnable. Est-on arrivé au point de jouer à l’autruche de manière chronique et de porter des œillères à temps plein (avec le masque sanitaire)?

Effacer les traces du (des) crime(s) et, en guise de clôture, embrasser passionnément son époux qui a engrossé l’une de ses maîtresses, et faire l’impasse dessus? Choisir délibérément de revenir au stade d’avant le déballage, histoire de ne pas se compliquer la vie; histoire de se bercer d’illusions ou de ne pas bousculer son quotidien? C’est ce que les acteurs ont choisi de faire. Et ceci est lamentable. Pourquoi? Parce que si ceci est compréhensible lorsque l’on doute sans avoir de preuves, et que, pour ne pas s’empoisonner la vie, on décide de ne pas creuser pour en en savoir davantage; ceci est irrecevable lorsque les preuves sont là, palpables, évidentes, criantes, devant soi, et que, comme saint Thomas on met carrément le doigt dans le trou, puis opter au final pour l’esquive? Où est la dignité? L’amour-propre? L’estime de soi?

Oui, nous sommes tous incontestablement des perfect strangers et nos portables sont effectivement les boîtes noires qui contiennent nos vies. Bien sûr, ce qui s’y trouve peut aller du simple petit jardin secret jusqu’aux doubles, triples et quadruples vies menées en parallèle. Et là, on ne parle pas de simples fantasmes virtuels, mais de situations factuelles, palpables, choquantes, que les protagonistes choisissent au final de dépasser. Ce fameux dîner sera considéré comme une parenthèse, une sorte de brèche ponctuelle qui aurait ébranlé, l’espace d’une éclipse lunaire, leurs vies rangées au-dessus de tous soupçons. En ce sens, la métaphore de l’éclipse est excellente, puisque passagère.

Il n’empêche que lorsqu’une vérité est aussi aveuglante, vouloir l’ignorer est d’une lâcheté innommable. C’est peut-être du "Sherlockholmisme" aigu, mais s’il faut balancer mille vies lorsque les preuves des délits sont aussi flagrantes, soit! Ou bien opter pour une solution plus soft, à savoir en parler en adultes avertis et prendre des décisions ensemble, mais zapper en silence, non.

Pour finir, une réflexion plus nuancée s’impose peut-être: faut-il nécessairement accepter qu’avec l’accélération du temps induit par la technologie, nous ne soyons plus que des amas de contradictions et d’incohérences? Et admettre ainsi que le ciment des couples ne repose, finalement, que sur les non-dits?

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