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La controverse persistante autour de l’enterrement de Mozart, alimentée par le film Amadeus, est démystifiée par des sources historiques fiables, démentant l’idée d’une fosse commune. À l’occasion de la commémoration de l’anniversaire de Mozart, Ici Beyrouth met en lumière les circonstances entourant sa mort et ses funérailles. Décryptage.

Le mythe tenace qui veut que Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) ait été relégué à une fosse commune demeure aussi vivace que les chefs-d’œuvre musicaux légués par le maître autrichien. Convient-il réellement de s’attarder longuement à déconstruire cette absurdité, ou l’intitulé seul ne serait-il pas amplement explicite pour éclairer les esprits égarés? Il semble que même Mozart, de là où il repose, puisse se permettre un soupir d’exaspération face à cette rumeur infondée. Après tout, rien de tel qu’un film imprégné d’un caractère romanesque, mais dont l’exactitude historique est altérée, pour semer la confusion et laisser prospérer de telles légendes. Pour les lecteurs non avertis, il convient de préciser que la mention concerne le film Amadeus réalisé par Miloš Forman. À l’occasion la commémoration de l’anniversaire de la naissance de Mozart, le 27 janvier, il convient de lever le voile (une fois de plus) sur la véritable histoire de la sépulture du compositeur, débarrassée des artifices cinématographiques qui ont terni la réputation de ce grand artiste.

Sources fiables

Dans le domaine musical comme dans toute autre discipline, il va de soi que le recours à des sources fiables demeure crucial, voire impératif. À cet égard, la situation de Mozart en 1791 a été minutieusement examinée par l’un des plus éminents spécialistes du compositeur, H. C. Robbins Landon (1926-2009). Ces recherches sérieuses ont abouti à la publication d’un ouvrage, intitulé 1791. La dernière année de Mozart, paru en français chez Fayard en 2005. Il est fortement recommandé de consulter cette source, ainsi que d’autres références tels que Haydn et Mozart (Fayard, 2001) et Antonio Salieri (Bleu Nuit, 2014) de Marc Vignal, doyen des musicologues français, pour mieux appréhender le contexte historique et musical de cette période. En effet, en 1791, Mozart connaît une période de prospérité financière après les temps sombres de 1789 et 1790. Durant ses ultimes mois, marqués par une créativité prolifique, il compose deux opéras majeurs, La Flûte enchantée (Die Zauberflöte, K.620) et La Clémence de Titus (La Clemenza di Tito, K.621), deux concertos, le Concerto pour piano n° 27 en si bémol majeur, K.595 et le Concerto pour clarinette en la majeur, K.622, ainsi que le Quintette à cordes n°6 en mi bémol majeur K.614.

Prospérité financière

Il contribue également à l’enrichissement du répertoire maçonnique avec quatre compositions significatives (K.619, K.620, K.623 et K.623a). En juillet 1791, Mozart reçoit la commande d’un requiem (K.626) dont l’identité du commanditaire demeure inconnue à l’époque, mais on sait aujourd’hui qu’il s’agissait du comte Franz von Walsegg (1763-1827). Le compositeur autrichien accepte cette nouvelle commande, marquant ainsi son retour à la musique sacrée qu’il avait largement mise de côté à la suite de son différend avec le prince-archevêque Hieronymus von Colloredo et de sa démission de son poste de maître de concert (Konzertmeister) au sein la cour princière de l’archevêché de Salzbourg. "Je n’ai plus le malheur d’être au service de la cour de Salzbourg, ce jour fut pour moi un jour de bonheur", peut-on lire dans une lettre écrite par Mozart le 9 mai 1781 et adressée à son père. La composition du Requiem en ré mineur est interrompue par d’autres engagements pressants, notamment la composition de La Clémence de Titus destinée au couronnement de l’empereur Léopold II de Bohême. Ainsi, il est évident que la situation financière de Mozart à cette époque est plus que favorable, et il n’est pas mort dans la misère.

Mort prématurée

Les théories sur l’implication d’Antonio Salieri (1750-1825) dans la mort de Mozart, reprises dans le film Amadeus de Milos Forman, sont largement considérées comme des éléments romancés plutôt que comme des faits historiques avérés. En réalité, la cause exacte de la mort de Mozart reste inconnue, mais parmi les 160 hypothèses formulées sur les éventuelles circonstances de sa mort, celle qui semble la plus plausible suggère une overdose de médicaments, fabriqués de manière artisanale et d’une qualité incertaine. Ce triste épisode se serait déroulé sur un terrain fragilisé par plusieurs affections, notamment un rhumatisme articulaire aigu. L’impact cumulatif de ses engagements artistiques, de son état de santé précaire et des médicaments douteux pourrait donc avoir contribué à sa mort prématurée, à 35 ans, le 5 décembre 1791. Alors que certaines hypothèses avancent que Mozart, anticipant sa mort imminente, aurait composé son Requiem en prévision de son propre décès, il est essentiel de souligner que le compositeur ignorait totalement qu’il était sur le point de mourir. La célèbre lettre attribuée à Mozart, déclarant "c’est mon chant du cygne, je ne veux pas le laisser inachevé", est un pur et simple faux. Elle est anonyme, probablement datée des années 1820, et rédigée dans un italien très médiocre, truffé de fautes, alors que Mozart maîtrisait parfaitement la langue italienne.

Tombe individuelle "commune"

L’après-midi du 6 décembre 1791, un service funéraire est organisé dans la chapelle du Crucifix. Contrairement à ce qui a été affirmé à maintes reprises, cette cérémonie n’a pas eu lieu dans la chapelle de la Croix à l’intérieur de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne. L’inhumation aurait probablement eu lieu le lendemain dans une "tombe individuelle commune", dans le caveau paroissial, conformément à un enterrement qualifié de "troisième classe", comme cela était courant pour la plupart de la population viennoise, et selon les règles sanitaires précises édictées par l’empereur Léopold II. Walther Brauneis, spécialiste du compositeur autrichien, précise, dans l’une de ses publications, que "le terme ‘commune’ ne doit pas être assimilé à ‘collective’ ou ‘communautaire’, mais plutôt à l’idée d’égalité indépendamment du statut social. La tombe de Mozart n’était ni une fosse pour indigents ni une fosse commune collective". Par ailleurs, elle était une simple excavation où il n’existait pas de droit de propriété, autorisant ainsi sa vidange et une nouvelle utilisation après une période de dix ans.

Traditions bien établies

Cette pratique visait à dissuader les visites aux défunts et à prévenir le risque de ramener des miasmes dans la ville. C’est probablement pour cette raison que les restes du compositeur n’ont jamais été retrouvés. Personne, ou presque, n’assiste à l’enterrement, conformément à la tradition et aux exigences du décret impérial, mais également par crainte d’une éventuelle épidémie. À l’issue de cette analyse, il est évident, comme l’atteste le musicologue Gilles Cantagrel (lors d’une discussion avec l’auteur de ces lignes), que la dépouille de Mozart "n’a pas été jetée en terre pour s’en débarrasser, comme un chien galeux, presque en cachette". Au cours du XIXe siècle, les pratiques funéraires ont subi une transformation complète, laissant notre compréhension des funérailles de Mozart aussi obscure qu’une nuit sans lune. Cependant, du point de vue de ses contemporains, la cérémonie et l’inhumation étaient simplement conformes aux traditions bien établies pour la grande majorité de la population.

Un peu de redondance n’a jamais tué personne: Mozart n’a pas été enterré dans une fosse commune!