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Le Liban a célébré l’ouverture du musée Saloua Raouda Choucair, rendant hommage à la pionnière de l’art abstrait arabe. Niché dans une pinède à Ras el-Metn, ce sanctuaire artistique offre une immersion exceptionnelle dans l’univers de cette artiste visionnaire.

À une heure de route de l’effervescence beyrouthine, le musée Saloua Raouda Choucair a ouvert ses portes, le 24 juin 2024, jour qui aurait marqué le 108e anniversaire de la peintre et sculptrice. Véritable écrin dédié à l’une des figures les plus influentes de l’art moderne au Moyen-Orient, cette institution réaffirme la position de Beyrouth comme phare culturel du monde arabe.

L’architecture épurée du bâtiment, conçue par Karim Bekdache, se fond harmonieusement dans son écrin naturel, une pinède préservée de Ras el-Metn. Cette symbiose entre art et nature fait écho à la philosophie de Choucair, qui cherchait à établir un dialogue fécond entre ses créations et leur environnement.

Hala Schoukair – Photo par Houssam Chbaro ©️ Saloua Raouda Choucair Foundation

Au cœur de ce sanctuaire, près de 600 œuvres dévoilent toute l’étendue du génie de l’artiste. Si 500 d’entre elles sont exposées, l’ensemble offre un panorama exhaustif de sa prolixité créatrice. Peintures, sculptures, mais aussi meubles, tapis, céramiques et bijoux témoignent de la conviction de Choucair: l’art doit s’immiscer dans chaque interstice du quotidien.

Le musée, conçu comme une réserve à ciel ouvert, bouscule les codes de la muséographie traditionnelle. Nulle hiérarchie ni parcours imposé: le visiteur est invité à flâner librement parmi les œuvres, à tisser son propre fil d’Ariane dans le labyrinthe de l’univers choucairien. Les archives personnelles de l’artiste, également accessibles, offrent une plongée intimiste dans sa genèse créative et son cheminement intellectuel.

Saloua Raouda Choucair, née en 1916 à Beyrouth, incarne l’avant-garde artistique libanaise. Son œuvre, qui s’étend sur plus de sept décennies, a posé les fondations de l’art abstrait au Levant. Formée à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris dans l’effervescence de l’après-guerre, Choucair y a forgé son style singulier, au confluent des esthétiques occidentale et orientale.

Son art abstrait se nourrit des sources les plus diverses: géométrie sacrée de l’islam, poésie soufie, sciences naturelles, mathématiques… Choucair a transmuté ces influences en un langage plastique inédit, mariant la rigueur de la composition à une spiritualité vibrante. Ses sculptures modulaires, telles des strophes visuelles, incarnent cette quête de l’essence et de l’infini.

L’œuvre de Saloua Raouda Choucair, exposée dans ce nouveau musée, témoigne d’un parcours artistique exceptionnel qui a débuté bien avant l’ouverture de cette institution. Son voyage artistique l’a menée à Paris en 1948, où elle a étudié sous la tutelle de Fernand Léger et participé à la fondation de l’Atelier de l’art abstrait. En 1951, elle devient l’une des premières artistes arabes à exposer au prestigieux Salon des réalités nouvelles, marquant ainsi son entrée sur la scène internationale de l’art abstrait.

 

Ce qui distingue l’œuvre de Choucair, c’est sa capacité unique à fusionner l’abstraction occidentale avec l’esthétique islamique. Nourrie par ses passions pour la science, l’architecture, les mathématiques et la poésie arabe, elle a su créer un langage visuel distinctif qui transcende les frontières culturelles et temporelles.

Ses sculptures, souvent inspirées par la philosophie soufie, explorent les concepts de l’infini et de l’interconnexion des formes. L’utilisation de formes répétitives et modulaires évoque l’infini, symbolisant une continuité sans fin et une unité universelle. La poésie arabe a également joué un rôle crucial dans son œuvre, offrant une source d’inspiration pour ses compositions visuelles complexes et son exploration des thèmes de la beauté et de la transcendance.

Choucair a également intégré des éléments des traditions artisanales islamiques dans son art, utilisant des motifs géométriques et des techniques de tessellation. Cette fusion de tradition et d’innovation lui a permis de créer un style unique, faisant d’elle une figure incontournable de l’art moderne.

En dédiant ce musée à Saloua Raouda Choucair, le Liban célèbre l’une de ses figures tutélaires, mais aussi toute une génération d’artistes pionniers qui ont façonné la modernité artistique arabe. Cette consécration muséale incarne un véritable acte de transmission, jetant un pont entre les générations. Hala Schoukair, fille de l’artiste et présidente de la Fondation Saloua Raouda Choucair, exprime l’espoir que ce lieu servira d’inspiration à d’autres institutions. Elle souhaite que celles-ci s’engagent à leur tour dans la valorisation du patrimoine culturel libanais et contribuent à raviver la flamme créatrice au cœur du pays.

Aujourd’hui, les œuvres de Saloua Raouda Choucair figurent dans les collections permanentes des plus grands musées du monde, témoignant de son impact durable sur l’art contemporain.

Au-delà de l’hommage, ce musée est un manifeste. Il réaffirme avec force la vitalité de la scène artistique libanaise, malgré les turbulences qui ont jalonné son histoire récente. Il rappelle que Beyrouth, carrefour des cultures et des imaginaires, reste une terre fertile pour la création contemporaine.

En franchissant le seuil de ce sanctuaire de l’art abstrait, le visiteur pénètre dans un espace hors du temps, où le geste créateur de Saloua Raouda Choucair se perpétue et se réinvente à l’infini. Dans le silence feutré des pins de Ras el-Metn, son œuvre vibre d’une énergie intemporelle, comme un appel à embrasser la beauté ineffable du monde.

Le musée sera ouvert uniquement sur rendez-vous.
Tel.+961 71 583 904
www.salouaraoudachoucair.com
Instagram: @salouaraoudachoucair

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