,Paris, le 1er juillet 2020

Chère maman,

Je t’écris une lettre parce que tu dis que les vieilles choses, les belles choses, se perdent. Moi aussi j’aimais le temps où je t’écrivais le soir, dans mon petit lit, des poèmes, des questions philosophiques faites de "pourquoi?" et de "mais tu crois que?", des mots doux. J’aimais ces minutes, caché sous ma couette, éclairé par le halo faiblard de ma lampe de poche, ces secondes d’angoisse en allant glisser le précieux courrier sous ta porte, le cœur comme un tambour battant… Et je retournais m’endormir, impatient que défile la nuit pour trouver ta réponse sous ma porte le matin au réveil.

Ma douce maman, je t’écris pour t’annoncer une merveilleuse nouvelle!

Je suis assis devant le vieux secrétaire de l’appartement de Paris, dont tu ne voulais plus quand tu as déménagé pour rentrer à Beyrouth, dont tu disais "qu’il t’apprendra à m’écrire plus souvent". Tu vois, j’écoute ce que tu me dis et je t’obéis encore du haut de mes trente-trois ans.

Sonia est près de moi, elle lit par-dessus mon épaule les mots écrits à l’encre bleu nuit qui coule de mon stylo plume pour imprégner le papier. Tu vois comment elle s’installe? Comme d’habitude, le menton posé sur mes cheveux bouclés, les bras croisés autour de mon cou.

Ma tendre maman, bientôt tu seras grand-mère! Sonia et moi attendons notre premier enfant. Quand nous l’avons appris et que nous nous sommes étreints longuement, quand chacun a essuyé ses larmes dans le creux du cou de l’autre, tu étais partout avec nous en pensées. Toi, notre seule famille.

Nous en sommes persuadés, elle aura ta longue chevelure rousse et tes yeux bruns. Elle. Tu seras la grand-mère d’une petite fille, maman. Tu deviens une téta, je deviens un baba.

Nous voulons qu’elle porte ton prénom, Rosa.

Ma précieuse maman, cette lettre arrivera, je l’espère, avant que notre avion ne se pose à l’aéroport mercredi 5 août prochain. Je l’imagine déjà, l’enveloppe blanche impeccablement déposée sur le paillasson par Ghada, notre gardienne d’immeuble consciencieuse. Je t’imagine déjà ouvrir l’enveloppe sur ton balcon, assise sur le fauteuil, une tasse de thé à la menthe sur la table en fer forgé, les mains tremblantes voyant qu’elle est expédiée de France. Et quand tu l’auras lue, tu regarderas la Méditerranée au loin et tu penseras à baba, car tu dis que la mer est son tombeau éternel.

Le 5 août, quand nous serons réunis, nous irons déjeuner dans ce restaurant sur le port, celui que vous aimiez tant. Ainsi nous célébrerons l’événement avec lui, un peu, aussi.

Il me tarde de voir tes yeux briller.

Je t’aime, maman.

***

La lettre est arrivée le 4 août, veille de l’arrivée de Samir et Sonia au Liban.

Si l’appartement de Rosa a été soufflé et entièrement détruit par l’explosion de Beyrouth, étonnamment la lettre, elle, est restée intacte sur son paillasson.

NB: Le titre est une référence à la chanson Pelot d’Hennebont de Tri Yann

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