Imaginez-vous couler une amitié tranquille avec votre alter-ego, votre âme sœur, et que cette amitié vous file entre les doigts, sans aucune raison apparente. Les amitiés d’adolescence forgent les caractères et marquent pour la vie, et c’est ce sujet sur fond de catastrophe et de faiblesse que choisit de traiter dans Poupées Eléonore Pourriat, actrice, scénariste, réalisatrice et romancière française.  

L’amitié est un sujet aussi sérieux que l’amour, et nous avons tendance à penser le contraire. "C’est pas que c’était ton amoureux!", aurions-nous tendance à répliquer à quelqu’un qui se plaint d’avoir perdu un ami, alors que nous nous sentons sincèrement désolés de voir un amour brisé. En lisant la quatrième de couverture, d’aucuns penseraient que Poupées est un roman au service de la force de l’amitié et de ses blessures qui font aussi mal que les soubresauts d’une relation amoureuse.

Il est vrai que Pourriat nous renseigne sur nous-mêmes et sur cette période de la vie qui est l’adolescence, sur le mal-être et sur la recherche de soi à travers les autres, sur les liens qui se tissent puis se défont, laissant un goût amer de vide derrière eux, mais le roman est loin d’être léger pour autant, car il cache un sujet grave, celui de la déviation et du pouvoir fortuit qui sévit en territoire familier, supposé protégé et sécurisé.

Stella et Joy se ressemblent comme deux sœurs jumelles. Elles partagent non seulement leur physique, mais aussi la construction bizarroïde de leurs familles respectives, leur goût pour Bowie et leurs fous rires. Elles sortent en boîte, fument leur première cigarette, contemplent le monde et se construisent des certitudes, malgré le désordre qui règne en sourdine dans leur vie et la menace sournoise que toute cette complicité vole en éclat. Les deux complices attendent avec impatience les vacances d’été qu’elles passent ensemble chez Dottie, la grand-mère américaine de Joy.

Les petites adolescentes grandissent et connaissent leurs premiers émois, se sentent invincibles et rient de tout… ou presque.

Après une période fusionnelle, Stella disparaît sans donner d’explication. Quelque temps plus tard, les deux amies se revoient au mariage de Stella où Joy était quand même invitée. Émue, Joy s’apprête à renouer avec sa complice dont elle ne comprend pas le mariage, elle qui n’a jamais rencontré le fiancé de Stella qu’elle juge trop jeune pour ce genre d’entreprise, mais elle se voit rejetée par celle-ci, ce qui la plonge, ainsi que le lecteur, dans une incompréhension de plus. Ce n’est que quelques pages plus tard que la vérité claque comme une gifle, le jour où une violente tempête éloigne l’hôte de la maison familiale lors du dernier séjour de Stella chez la grand-mère de Joy. Le diable n’est jamais loin, et il porte ironiquement le nom de Chicken. La brisure a lieu et c’est la catastrophe par la faute de Chicken, le couard, le lâche, le briseur de rêve, d’amitié et de confiance en soi.

Je n’en dirai pas plus et laisserai au lecteur le soin de découvrir le drame que cache l’histoire de Stella et Joy, un récit agréable même si quelque peu dilué dans sa force à cause de la construction du récit qui ne m’a pas spécialement séduite, construction qui titre alternativement les prénoms des deux amies, peut-être pour insister sur leur séparation.

Poupées 
Eléonore Pourriat-JC Lattès, 2021 
252 pages

Abonnez-vous à notre newsletter

Newsletter signup

Please wait...

Merci de vous être inscrit !