D’abord, il y a le titre de ce court roman de Patrick Modiano, prix Nobel de littérature 2014. Titre intrigant, avant qu’il ne révèle son sens au lecteur comme se révèlent les mots écrits à l’encre invisible, dans l’attente d’éléments déclencheurs pour apparaître et répondre aux interrogations du narrateur, comme un travail de mémoire essentiel où, en sondant le passé, on mettrait des mots sur les blancs de l’existence pour mieux comprendre le présent.


L’histoire, comme on peut le deviner pour peu que l’on soit familier avec le registre de Patrick Modiano, comme dans _Rue des boutiques obscures_ ou _La petite Bijou_, pour n’en citer que ces deux œuvres en exemple, est celle d’une quête.
Un jeune détective, Jean Eyben, fraîchement engagé par un directeur avare en explication, est donné pour mission de retrouver une femme, Noëlle Lefebvre, disparue sans laisser de trace. D’entrée de jeu, aucun indice n’est fourni pour aider le lecteur, à travers le narrateur, à comprendre pourquoi ou qui la recherche et quels sont les dessous de cette mission. Avec très peu de données à l’appui, avec des informations vagues fournies du bout des lèvres par son directeur, commence alors une quête dans les rues de Paris, quête interrompue pour reprendre trente ans plus tard à Rome, ville immuable, puis dans un Paris en plein chantier avec ses grues, ses couloirs pour piétons et ses trous béants dans le pavé. Lorsque Noëlle Lefebvre apparaît comme un flash dans la mémoire du narrateur, au détour d’une rue, le lecteur se demande si celui-ci ne se cherche pas lui-même. Il la cherche en remontant les rares pistes fournies, s’accroche – même lorsque sa mission tombe dans l’oubli – dérange ses interlocuteurs à peine capables de répondre à ses questions insistantes, explore les rues, les bars, le bureau de la poste restante, et sans même en savoir la raison, le lecteur l’accompagne volontiers, attentif aux évanescents indices, s’imaginant des scénarios, gardant l’espoir de combler les dissonances qui encombrent le fil rouge afin d’arriver à bout de cette mission.
Une silhouette traverse la chaussée et c’est l’image de Noëlle Lefebvre qui revient. Un nom affiché à l’entrée d’un immeuble et c’est Noëlle Lefebvre qui revient. On dirait que le Tout-Paris a connu cette mystérieuse femme dissimulée dans l’ourlet du passé et du présent, et dont personne n’a plus de nouvelles depuis plus de trente ans. Subrepticement, le narrateur implique le lecteur qui se surprend à le suivre presque aveuglément, sans savoir ce qu’il cherche au juste, mais peu importe, car le lecteur, dans son errance, œuvre à remplir les blancs de sa propre existence, ces bulles d’air qui freinent le cours de l’avenir et paralysent.
Fidèle à son style, au leitmotiv qu’on lui connaît, fidèle à son infatigable quête, Modiano continue de captiver son lectorat qui n’a de cesse de suivre sous sa plume magistrale le labyrinthe des souvenirs jalonné de détours, de pièces obscures et de caisses à résonnances qui, une fois traversé mène probablement à la vérité sur l’identité, sur le passé, sur l’avenir des personnes. Sera-t-il un jour traversé ?