Un vaste dialogue qu’initie l’artiste avec la collection du Musée de la chasse et de la nature et qui s’inscrit, plus largement, dans un dialogue avec le vivant.

C’est un tout petit musée privé inauguré par André Malraux dans l’hôtel de Guénégaud (monument historique du XVIIe siècle de François Mansart), le 21 février 1967, puis étendu en 2007 à l’hôtel voisin, l’hôtel de Mongelas (XVIIIe siècle). Le Musée de la chasse et de la nature est un bijou logé dans le cœur du Marais qui "expose" le rapport de l’homme à l’animal à travers les âges, de l’Antiquité à nos jours. En plein Paris, le musée permet ainsi d’appréhender l’environnement animal, et ce à travers une muséographie tout à fait singulière associant un ensemble d’œuvres d’art (peintures, dessins, sculptures, tapis, tapisseries, orfèvrerie, céramiques, armes, trophées, armures, meubles, objets d’art, installations, photographies, vidéos…) à des animaux naturalisés et à des éléments d’interprétation. On peut ainsi côtoyer, en déambulant d’une salle à l’autre, de très beaux cabinets de curiosité, des peintures animalières, des études d’ornithologie, ainsi qu’une fascinante scénographie d’animaux empaillés, de même que l’on ne peut qu’être sensible à l’architecture des deux petits hôtels particuliers, aux magnifiques escaliers, au fer forgé de leurs balcons ainsi qu’aux lustres que l’on retrouve d’un étage à l’autre, dans un mélange des genres et des registres tout à fait stupéfiant.

Eva Jospin
Le musée de la Chasse et de la Nature

Depuis l’extension du musée en 2007, les expositions temporaires sont autant d’occasions pour des artistes contemporains invités d’investir les lieux et de dialoguer avec les collections, abordant, à travers l’art contemporain, différentes thématiques gravitant autour de la relation entre l’homme et le vivant. Je mentionnerai au passage deux vidéos d’une extrême délicatesse qui font désormais partie de la collection d’œuvres contemporaines du musée: dans la salle avifaune dédiée au développement de l’ornithologie depuis le XVIIIe siècle, O gué ma mie o gué est une vidéo réalisée en 2011 par Laurent Millet, vidéaste, photographe et plasticien, auteur d’une "encyclopédie imaginaire". Elle présente la lente dérive d’un squelette de pigeon flottant sur un ruisseau, qui n’est pas sans rappeler les danses macabres médiévales. Triptyque de Jeffrey Blondes, artiste américain installé en Touraine, décrit la relation entre le paysage et le temps en montrant la progression des saisons et la transformation de la nature. Tournées une heure par semaine durant un an, les images constituent trois vidéos de cinquante-deux heures qui capturent les mouvements invisibles de la nature et qui correspondent aux cinquante-deux semaines de l’année. Les visions lentes et poétiques qui composent ce triptyque numérique sont pourvues d’un cadre en bois, comme une série de tableaux.

Eva Jospin
Laurent Millet, O gué ma mie o gué, 2021, Vidéo

 

Eva Jospin
Jeffrey Blondes, Triptyque, 2007, Vidéos

La Forêt (2012) est une installation d’Eva Jospin que le Musée de la chasse et de la nature intègre à sa collection. Ce remarquable travail qu’on associe à juste titre à un travail d’"orfèvrerie" se saisit de quatre panneaux de carton et de bois de plus de 2,50 m de hauteur afin de créer un paysage forestier fragile. Le résultat est étonnant et inédit. Les troncs et les branches qui composent cette forêt sont ciselés dans des matériaux bruts et par ailleurs vulnérables qui renvoient aux questions de reforestation et de recyclage, et inscrivent la démarche de l’artiste dans un propos écologique, et son geste dans une poétique de l’éphémère qui participe à sa beauté.

Depuis plus de dix ans, Eva Jospin compose donc des paysages forestiers et minéraux exclusivement à partir de carton ciselé. De cette obsession naissent des installations monumentales et des sculptures en carton qu’elle travaille avec une extrême minutie. De cette rencontre entre un matériau sobre et fragile, un travail précieux et le caractère monumental de la présence nait un travail qui étonne et qui touche par sa vulnérabilité même. Présentées en haut-relief, ses forêts évoquent des lieux chimériques de quête et d’initiation, comme les forêts des contes traditionnels. La plongée dans l’univers de la forêt, lieu où se cristallisent les peurs infantiles, se donne ainsi à vivre comme une plongée dans l’inconscient.

Eva Jospin
Eva Jospin, Galleria (détail), 2021, Bois, carton, dessin à l’encre, papier calque, papier coloré, encre de Chine, broderie, fil de laiton et cuivre, coquillages

L’artiste diplômée des Beaux-Arts de Paris et ancienne pensionnaire de la Villa Médicis dont on avait pu préalablement découvrir le travail à la Manufacture des Gobelins, au Palais de Tokyo ou encore dans la Cour carrée du Louvre est l’invitée depuis l’automne 2021 du Musée de la chasse et de la nature qui lui donne carte blanche pour investir les lieux. Elle y a installé plusieurs œuvres récentes, Pergola, Nymphée et Cénotaphe et créé pour l’occasion Galleria, une œuvre d’une extrême beauté qui a donné son nom à l’exposition que l’on peut visiter jusqu’au 20 mars.

Revisitant techniques et dispositifs architecturaux, Galleria est donc un pan de forêt découpé dans lequel s’ouvre une galerie végétale que nous sommes invités à traverser, faite de plinthes et de niches à la manière dʼun studiolo de la Renaissance italienne et abritant, sous sa voûte à caissons, des œuvres, des reliquaires et des paysages miniatures, précieux et fragiles à la fois, comme de multiples petites scénettes. On y identifie des réminiscences des jardins baroques italiens, des rocailles fantaisistes du XVIIIe siècle et des grottes féériques que l’artiste intègre à son imaginaire. Tout un univers à la fois savant, précieux et fragile qui s’inscrit dans ce vaste dialogue qu’initie l’artiste avec la collection du Musée de la chasse et de la nature et qui s’inscrit, plus largement encore, dans un dialogue avec le vivant, fait de projections fantasmatiques, de visions éphémères et, néanmoins, d’un parti pris pour un geste esthétique fort et fortement inscrit dans la matière et le métier.

Eva Jospin
Eva Jospin, Galleria, 2021