Non, on n’est pas en février et ce n’est pas la Saint Valentin. Et oui, au grand dam des fervents partisans de l’amour mercantile, des cœurs rouges et autres niaiseries en velours carmin, j’ai envie de parler d’amour, en ce mois d’avril si propice aux farces, il est vrai, mais aussi aux bourgeons, aux rayons de soleil, aux papillons, et à leur façon si insouciante de représenter les renaissances…

Printemps à Beyrouth. Les fleurs roses et blanches de mon balcon arrondi – coin de la maison auquel je dois mes idées les plus insolites et mes inspirations les plus démentes – évoquent le doux parfum de barbe à papa et de guimauve qui me ramène aux années où ces friandises étaient la récompense de devoirs bien faits ou de tâches bien exécutées. Et là, comme une évidence, surgit le visage de l’amour inconditionnel. Amour entrecoupé de cuillers en bois cassées sur de petits dos désobéissants, de crises d’adolescence et de rébellions virulentes, d’assiettes volantes façon Zorba… mais aussi de mains inquiètes sur des fronts brûlants, de caresses douces dans des cheveux en bataille, de mots rassurants face à des désespoirs insensés, et de tout ce qu’une mère digne de ce nom peut symboliser comme amour désintéressé. Envers et contre tout, elle a toujours été là, constante de mon ordre et désordre, témoin de mes faits et méfaits, arbitre (occasionnellement) silencieux de mes moindres gestes… Elle, c’est ma mère.

Et puis il y a l’amour enivrant. Celui qui consume en se consumant. Celui qui brûle tout sur son passage, laissant derrière lui des champs cramoisis de braises ardentes qui ne tarderont pas à se transformer en cendres elles-mêmes emportées par les étreintes d’un vent nouveau. Lui aussi gagne à être connu… À coups d’élans sensuels, de regards langoureux et de plaisirs assouvis, il est passé en trombe avant d’aller enflammer d’autres cœurs qu’à son habitude, il a laissés abasourdis devant tant de zèle… C’étaient les années fac, celles où les béguins d’adolescence font place aux fougues plus mûres et aux ivresses embrasées. Celles où le feu s’éteint aussi vite qu’il s’est allumé. Celles où l’on connaît la version éméchée de Cupidon. Elle, c’est la passion.

En cours de chemin, il y a bien évidemment ces engouements passagers, ceux qui nous prennent comme un désir inexpliqué, mais auxquels nous avons bizarrement trouvé tant de synonymes. On parlera de passades, de flirts, de fantaisies, de foucades, de toquades, et j’en passe. Fin mot de l’histoire: elles sont légères et sympathiques, et ont parfois l’étrange mais précieux avantage de se transformer en amitiés. Elles, c’est les amourettes.

Et là j’hésite… Parler d’amour, d’attirance, d’amitié, d’affection, de complémentarité, de télépathie, ou d’un singulier mélange qui fait que l’on se sent tout simplement bien avec une personne ? On ne sait pas si ça (dé)collera, combien ça durera, où ça ira, si ou comment ça finira… On veut juste y croire. Parce que ça harmonise. Parce que ça peaufine. Parce que ça remplit un vide. Parce qu’on aime ça! Parce qu’on est bien!

Cette " union " – on va l’appeler comme ça – n’est pas la plus intense qu’on ait connue, ni la plus parfaite, ni même la plus enviable. Mais c’est celle qui nous rapproche le plus de nous-même et de notre bien-être. Celle qui nous donne des envies nouvelles, jusqu’alors inenvisageables. Celle qui nous pousse à satisfaire et à être satisfait, pendant un moment, une période, une éternité peut-être. Elle, c’est l’entente.

Je ne suis pas la mieux placée pour parler d’amour. Mon expérience en la matière n’étant pas des plus glorieuses, je me fais un point d’honneur de ne pas émettre de théories les rares fois où de malheureuses âmes perdues s’aventurent à me demander mon avis! Ce que je cautionne, par contre, et que je défends bec et ongles, c’est le concept lui-même: aimer et être aimé, sous n’importe quelle forme. Éprouver; ressentir; admirer; donner; prendre; câliner; jalouser; satisfaire… Toute cette transitivité qui n’a d’objet – direct ou indirect – qu’une seule et unique finalité…

Et dire qu’il y en a qui s’en foutent! Petites attentions, marques d’intérêt, billets doux, baisers volants, paquets-surprise, services rendus, rien n’y fait! Imperméables à toute manifestation d’attachement, ils se targuent de rester de glace face à leurs opposés complaisants qui ont tant à donner et si peu à recevoir! Quel gâchis! Qu’est-ce qui vous retient Messieurs-dames? Qu’est-ce qui ferait fondre vos petits cœurs endurcis? Éclairez donc ma lanterne intriguée devant tant de détachement. Seriez-vous fiers de ce flegme qui condamne les mamours en tous genres? Est-ce un défi que votre esprit volage s’est lancé, ou simplement une couarde précaution de votre naturel tatillon?

Eh bien aujourd’hui, chers partisans protiédeur, je fais exception à ma règle de non-ingérence en matière d’idylle, pour clamer haut et fort que vous êtes loin du compte et très à côté de la plaque! Permettez-moi donc un conseil partiellement épicurien que, connaissant plus ou moins votre profil, vous jugerez probablement ingénu et oiseux: d’accord pour carpe diem, d’accord pour le plaisir, la jouissance, le désir et tout le bazar, mais mettez-y un peu de sentiment que diable! La vie est courte et imprévisible (on ne le dira jamais assez!) et personne ne devrait jamais regretter de ne pas avoir dit, manifesté ou approfondi ses émotions envers l’élu-e de son cœur, aussi stoïque soit-il…