Pour qui sonne le glas? Ce dimanche 15 mai nous le saurons! Nous saurons si les Libanais.e.s creuseront leurs propres tombes par leurs propres mains où s’ils continueront la révolution avortée dans les urnes. Après une discussion entre électeurs, un cri monte pour une participation massive aux législatives! "Mais le dernier mot est-il dit? L’espérance doit-elle disparaître? La défaite est-elle définitive? Non! Rien n’est perdu pour [le Liban]! Les mêmes moyens qui nous ont vaincu.e.s peuvent faire venir [dimanche] la victoire." Ces mots, extraits de l’appel du 18 juin du général de Gaulle, gagnent à être réappropriés et assumés le 15 mai par les Libanais.es. Ce dimanche, citoyens, citoyennes, allons dans les urnes creuser leurs tombes! Allons les faire tomber là où nous avions inscrit leurs victoires au prix de nos vies. Allons libérer le Liban qu’ils ont pris en otage!

Pour qui sonne le glas?

Cette discussion à laquelle j’ai assisté par hasard chez des ami.e.s, exprime les appréhensions des Libanais.es non affilié.e.s aux partis politiques, attaché.e.s au salut du Liban, chez la plupart des confessions.

"Tu imagines! J’étais chez le coiffeur et une femme bien habillée disait qu’elle n’allait pas monter au village dimanche pour voter. ‘Faire le plein lui coûtera une fortune, un million de livres libanaises!’, se plaignait-elle. Pourtant, elle ne paraissait pas à court de moyens. Elle disait ça sur un ton badin, assorti d’un grand éclat de rire. À en juger sur les apparences, elle ne lésinait pas sur les dépenses. Entre les soins du coiffeur et de la manucure, elle se relookait de la tête aux pieds.

— Il y a pire. Hier, j’ai été choqué par mon avocat. Il ne votera pas le 15 mai. "Je ne suis pas né de la dernière pluie: la loi électorale est injuste", argua-t-il. Comment comprendre son déni? Un avocat se laisse-t-il berner par "la loi"?

— Voilà où nous en sommes. Avec le départ de Chadi, bientôt nous serons abandonnés, avec nos deux fils dispatchés chacun sur un continent. Comment se débrouilleront-ils, loin du pays, des parents et des amis? Wassim prétend qu’il se nourrit bien. Mais avec son boulot du matin au soir, les travaux ménagers et les courses à la supérette, je crois qu’il s’empiffre de burgers, de frites et de mayonnaise à longueur de journée.

— Remercions Dieu qu’il prépare ses papiers, qu’il obtiendra ses droits grâce à la nationalité, qu’il aura au moins l’électricité alors que nous ressemblons aux hommes des cavernes.

— Bientôt, Mounir suivra l’exemple de son frère comme la plupart des jeunes libanais dépités et dépiautés. Avec nos propres sous confisqués, impossible de se payer un voyage pour les voir ou les humer. Tu n’as jamais accepté que l’on construise notre foyer dans un pays sûr! Nous voilà réduits à des laissés-pour-compte, des prisonniers à vie! Je me demande pour qui sonne le glas!

— Votons dimanche pour les hommes qui ont des couilles, les partis bien organisés. Durant la guerre des quinze ans, c’est eux qui nous ont protégés.

— Ils nous ont défendu.e.s, c’est vrai! Mais leurs rivalités ont fait couler des fleuves de sang et tué des milliers d’innocent.e.s! Quand je repense à la guerre, au Liban détruit, aux 300.000 assassiné.e.s, aux torturé.e.s dans les prisons syriennes, je me dis: non, je ne veux plus de tous les seigneurs de la guerre, ni de leur descendance!

— Comme si les victimes s’étaient limitées aux 300.000 de la guerre libanaise. Tu oublies les attentats depuis 2004 avec le cataclysme de l’assassinat de Hariri et ses compagnons? Les crimes odieux commis contre les figures du 14 Mars, de Samir Kassir et Gebran Tuéni à Mohammad Chatah, ainsi que l’assassinat récent de Lokman Slim. Tous les martyrs de la révolution du Cèdre, qui les a assassinés? Les tueurs en séries, les milices désarmées?

— Et l’explosion du siècle, les 2750 tonnes de nitrate d’ammonium entreposées dans le hangar numéro 12 du port, la plupart savaient! Personne n’a bougé son petit doigt pour alerter, pour sauver Beyrouth et ses habitants.

— Et le vrai dragon, pas celui de la légende, mais celui qui menace d’engloutir Beyrouth et tout le Liban, qui ne rate pas une occasion de cracher son feu. Ses alliés dont l’ex-slogan était la souveraineté, n’ont-ils pas vu ses tentacules pousser et resserrer à mort le cou des libanais.es? Exhibant toujours leur vocation messianique, n’ont-ils pas honte de le porter aux nues, de l’encenser?

— Je n’ai rien oublié, la mini-guerre du 7 mai 2008 non plus! Personne n’a pu nous protéger! Pourvu que les Beyrouthins se mobilisent! Et l’assaut de Aïn el-Remmaneh, il y a quelques mois ? Depuis quand les assaillants jouissent de leur liberté alors que les gardiens de la forteresse de la résistance croupissent dans les cachots de la putréfaction?

À ce moment le téléphone sonne.

— C’est Wissam! Allô! Comment vas-tu mon amour?

— Ça va maman. Papa est à côté de toi?

— Oui, il est là.

— Rachid approche! C’est Wissam de France! Il veut nous parler.

— Surtout, n’allez pas voter pour les anciennes têtes! Votez pour le changement, pour les jeunes de toutes les communautés qui veulent construire le Liban.

— Mais ils n’ont pas assez d’expérience. Avec les vautours et les rapaces, ils vont rapidement déchanter. Et puis, tu as parmi eux les communistes, qui font bouche cousue sur la souveraineté, le désarmement du Hezbollah et la neutralité.

— Tous mes amis à Berlin, en France, à Dubaï ont voté pour le changement. Les jeunes s’accrochent à cette unique bouée de sauvetage. Ne rendez pas notre retour au Liban impossible. Dites à vos amis de ne pas répéter les erreurs du passé. Sinon personne ne remettra ses pieds au Liban, en tout cas aucun.e expatrié.e de la nouvelle génération.

— Tu sais Rachid, il a raison Wissam. Il n’est pas permis de tomber dans les mêmes pièges et les mêmes clichés.

— Arrête de déconner. "La raison du plus fort sera toujours la meilleure." Nous n’allons ni baisser les bras ni nous laisser marcher sur les pieds. Nous voterons pour les défenseurs de l’identité.

— De qui parles-tu? Des féodaux, des pourris? Puis, il me semble qu’il est impossible de gérer un pays gangrené par la corruption, miné dans son infrastructure, ses réseaux et tous ses secteurs. Je ne crois plus vraiment en personne et si j’invoque l’intercession de la Vierge Marie durant son mois béni, c’est pour qu’elle nous indique la voie à suivre, la liste des candidats à privilégier.

— Pour qui vas-tu voter?

—  Je voterai pour le glas des oppresseurs, des crapules et des vendus.

Je sors dans la rue. Des vieux fouillent dans la benne à ordure, pour se mettre quelque chose sous la dent. C’est devenu un spectacle banal dans une ville jadis fière, aujourd’hui en détresse, à genoux. Je sais que le chemin est très long. Le Liban est un jeune moribond qu’il faut sauver. Mais pour pouvoir le soigner, sonnons le glas de ses geôliers.

Ce dimanche, nous irons cracher sur vos trônes qui nous tiennent lieu de tombes

Soyez damnés, vous qui vous acharnez à réduire le peuple libanais à des bâtards et des impuissants, à transformer la perle de l’Orient en un trou à rats et une terre brûlée. Vous avez tué le quart de la population et provoqué l’exil de la moitié. Ceux qui osent rester, vous les avez réduits en poussière par l’explosion quasi atomique. Ceux qui osent parler, vous leur envoyez des criminels sans foi ni loi les cribler de balles ou pire, d’explosifs pour les mutiler à vie ou réduire leurs corps en miettes. Ceux qui osent se révolter et demander des comptes, vous dirigez vos balles réelles ou à grenailles sur leurs yeux en croyant cibler leur clairvoyance. Ceux qui ne veulent pas voir des index se lever, vous les indexez dans la liste des estropié.e.s. Ceux et celles qui osent revendiquer la souveraineté, vous projetez sur eux votre traîtrise et vous les accusez d’être des vendu.e.s.

Nous irons cracher sur vos trônes dans les urnes. Les nouveaux.elles élu.e.s ne peuvent être pires que vous. Ah! Si les chiites endoctrinés et leurs alliés chrétiens, atteints du même syndrome de Stockholm, hypnotisé.e.s et téléguidé.e.s par leurs idoles pouvaient se joindre à la population libanaise, pour sortir de l’aliénation et de l’esclavage. Ah! Si notre Sainte Trinité citoyenne pouvait prendre le dessus.

Les chrétiens ont rompu le cordon ombilical avec leur tendre mère depuis l’indépendance en 1943. Les sunnites se sont identifiés définitivement au Liban en 2005 et leur mobilisation exemplaire fut indispensable pour accomplir la révolution du cèdre et imposer le retrait des troupes syriennes le 26 avril 2005. Seize ans après, les chiites oseront-ils se rebeller contre l’aliénation, dépasser leurs complexes de dépendance vis-à-vis de l’illégitime beau-père pour lui préférer le vrai géniteur, le père authentique, en l’occurrence le Liban? À plus forte raison, quand les opposants les plus acharnés au régime des pasdarans, qui fait la pluie et le mauvais temps au Liban, sont bien les intellectuels et les journalistes chiites.

Réveillez-vous frères et sœurs compatriotes, n’acceptez plus qu’on exporte vos enfants comme de la marchandise, n’acceptez plus de les immoler comme des agneaux, pour servir des causes étrangères puis de se consoler dans les célébrations funèbres sublimant le sacrifice.

Regardez nos maisons, les vôtres. Celles qui restent debout peinent à cacher leur deuil. Dans chaque maison se dessine une douloureuse tragédie dès la naissance des enfants. Leur sort oscille toujours entre futurs martyrs et futur.e.s expatrié.e.s et dans les deux cas, que ce soit dans la culture de la mort ou dans celle du progrès et de la vie, les parents n’ont droit qu’aux souvenirs amers, qu’aux restes dérisoires, qu’aux cœurs de pierre des leaders et qu’aux pierres de la tombe. Ils n’avaient eu droit avant qu’à une vie de besognes et de prières, une vie d’abnégation, une vie de pénitence.

Réveillez-vous, amoureux transis des chefs démagogues que vous prenez pour des envoyés messianiques. Regardez ces terres en jachère, cette capitale démolie, ces joyaux de bâtiments soufflés en une seconde. Rappelez-vous le visage souriant de l’enfant qui hante les rues abandonnées de la révolution, avec son sourire angélique et son drapeau élevé vers le ciel. Souvenez-vous de la téméraire future mariée qui s’est lancée corps et âme dans les flammes avec ses collègues, les jeunes sapeurs-pompiers. On les a envoyés brûler stoïquement sans explications ni équipements appropriés, après la première explosion située près d’une mine d’explosifs. C’est le devoir de mémoire envers notre capitale, les 218 victimes et les milliers de blessé.e.s et de traumatisé.e.s. Ce dimanche, sortons du silence, de l’obéissance, de l’indifférence! Allons cracher sur leurs trônes, allons creuser les tombes de nos assassins!