À la Galerie Janine Rubeiz une exposition collective intitulée : In The Rift, Where The Time Is Suspended  (Dans la faille, là où le temps est suspendu) nous invite à faire un pacte dérangeant, certes, mais passionnant à plusieurs égards.

Bousculer nos certitudes, tenter l’expérience de l’envers du décor ! Pénétrer d’emblée dans un univers à la Magritte pour vivre l’aventure de l’absurde, là où le temps s’arrête comme suspendu au bord d’un gouffre. Nous surprendre à ausculter la faille, la déchirure suprême, à contempler le vide né du chaos là où seul un chien habite les décombres d’une ville dévastée, là où sur un socle gisent les parties d’un corps démembré, une tête décapitée, un pied portant chaussette à la recherche d’une jambe et autres éléments épars témoins de l’étrange et du déconstruit.

Un peu plus loin, des chiens en carton tournent en rond, semblent discourir, mais sont condamnés par leur dialogue stéréotypé à un monologue sans fin… On s’interroge alors sur le sens de la parole et de la communication quand chaque interlocuteur reste enfermé dans sa prison égotique.

Ailleurs, un film montre des joueurs de cartes sans cartes quand l’activité humaine est vaine et que l’enjeu reste insignifiant puisque voué à l’anéantissement… Quand la présence même au monde est remise en question !!Là où la perception bascule, l’équilibre est en chute libre, les incertitudes se bousculent dans une perte de repères dévastatrice ! L’espace même est à l’envers, comme sur cette toile où le peintre est représenté tête en bas devant son chevalet, plafond et plancher confondus. Le désarroi de l’artiste s’inscrit alors comme une crise identitaire, une mise en doute de l’acte créatif même, de la place de l’Art face au néant… La création serait-elle négation ?

Comme dans la cave de Platon, osciller entre réalité et fiction, vérité et mensonge.

De quoi dérouter Magritte même ! Le spectateur est amené alors malgré lui à vivre le processus de dérèglement, à rechercher dans une tentative ultime quelques éléments de réponse.  À s’accrocher avec espoir à quelques signes énigmatiques en noir et blanc sur un tableau, sorte de sérigraphie morne et répétitive, écriture en morse sur laquelle bute encore sa compréhension.

Non-sens et fragilité de l’existence résumés dans un concentré d’espace. Tout est là pour rappeler une actualité politique économique et sociale pesante avec son cortège de guerres et d’agressions, pour s’interroger sur le sens du progrès quand technologie et humanité ne vont pas de pair…

L’exposition pousse ainsi à affronter le gouffre, à oser le vertige de la chute et de l’effondrement non pour satisfaire des instincts masochistes, par souci de victimisation ou pour se complaire dans le désespoir, mais sans doute comme dans une catharsis, pour puiser en soi des forces vives avec pour seul levier l’instinct de survie !

Oui, regarder le destin bien en face pour mieux lui faire un pied de nez.

Réaliser surtout que la pulsion de vie est la plus forte, que la nature a horreur du vide, que le vide appelle le plein, que l’absence recherche la présence, que la chute entraîne le rebond, que les cycles de la nature rappellent indéfiniment qu’il n’y a pas de départ sans retour, pas d’hiver sans printemps, que la fleur qui meurt prépare le prochain bourgeon, que sens et non-sens ne peuvent exister qu’en s’affrontant, que le néant n’est qu’une ouverture à d’infinis possibles et que toute fin n’est que le début d’une renaissance.!…

Faille et déconstruction certes, moment suspendu et arrêté certes, mais juste le temps de reprendre son souffle, se reconnecter à l’énergie de l’univers pour une nouvelle danse, un éternel recommencement…

À découvrir jusqu’au 15 juillet.

Site web:joganne.com