Kirill Serebrennikov fait le deuil de son ancienne scène moscovite, mais veut croire en une " nouvelle vie " pour les artistes russes antiguerre : lui-même présente sa nouvelle pièce à Avignon, dans le sud de la France.

Depuis le printemps, le réalisateur et metteur en scène n’a jamais été aussi sollicité et médiatisé. Après une sombre affaire judiciaire, il s’exile en Europe dans la foulée de la guerre en Ukraine, à laquelle il s’oppose, ouvre la compétition au Festival international de cinéma de Cannes avec La Femme de Tchaïkovski, monte un opéra à Amsterdam, prépare un film sur Limonov d’après le roman d’Emmanuel Carrère et une production de Lohengrin pour l’Opéra de Paris.

Il inaugure aujourd’hui jeudi le Festival d’Avignon, festival international majeur de théâtre, avec son adaptation d’une nouvelle peu connue de Tchekhov, Le Moine noir.

En pleine répétition dans la Cité des Papes – surnom d’Avignon qui fut la capitale de la chrétienté au XIVe siècle -, il a appris que le Centre Gogol, qu’il a dirigé de 2012 à 2021, allait être fermé, avec un changement de direction et un retour à son ancien nom (Théâtre dramatique Nikolaï Gogol).

" Je ne vais pas dire que c’était une énorme surprise, car il était clair que quelque chose se préparait ", affirme-t-il.

" C’est une punition "

" Bien sûr que c’est une punition en raison de la liberté artistique du Centre Gogol ", qui a réussi à devenir l’épicentre de l’avant-garde moscovite, tout en étant un théâtre municipal. " C’était un théâtre qui jouait toujours à guichets fermés, avec une troupe unique d’acteurs, un public jeune et des standing ovations chaque soir ", dit le metteur en scène. " Et soudain, ils le ferment, sans explication ". Serebrennikov rappelle que c’était " le seul théâtre à réagir contre la guerre ". " Les acteurs ne venaient plus saluer (en signe de protestation) et le public ne voyait s’afficher qu’une colombe de la paix. C’était la seule réaction qu’ils pouvaient se permettre sans risquer d’aller en prison ", dit-il.

Il évoque les nombreux artistes et intellectuels " qui ont fui la Russie, car ils ne veulent pas être partie prenante de cette guerre " contre l’Ukraine.
" Ils tentent de recommencer à zéro, de trouver une nouvelle vie en Europe, un nouveau moyen de survivre ", poursuit le metteur en scène. " La culture n’existe pas dans les nuages. Les gens la portent en eux et elle survivra d’une manière ou d’une autre ".

 " Un théâtre du monde "

La participation de Serebrennikov au Festival de Cannes n’a pas été sans controverse, des cinéastes ukrainiens accusant Serebrennikov d’avoir eu toute sa carrière " financée par l’argent du gouvernement russe " et pointant du doigt ses liens avec l’oligarque russe Roman Abramovitch, qui a financé en partie son dernier film. Serebrennikov, qui reconnaît avoir été soutenu par Abramovitch, s’est défendu en assurant que l’oligarque a été d’un grand soutien au monde artistique en Russie. Selon le quotidien Le Monde, l’oligarque a même financé en partie Outside, la dernière pièce de Serebrennikov présentée à Avignon en 2019, et était présent dans la salle.

Serebrennikov participe pour la quatrième fois à Avignon, après Les Idiots  (2015), Les Âmes mortes (2016) et Outside.

" C’est le meilleur festival de théâtre au monde. Il y a quelque chose d’extraordinaire d’avoir toutes ces compagnies qui se produisent en même temps dans cette cité, c’est un sentiment de liberté ", s’émerveille Serebrennikov, qui se sent " le plus libre au théâtre ". Pourquoi Le Moine noir, nouvelle fantastique sur un intellectuel sombrant dans la folie ? " Comme pour La Femme de Tchaïkovski c’est toujours intéressant d’aborder quelque chose d’inconnu. C’est un chef-d’œuvre littéraire oublié que j’ai adoré depuis que j’étais enfant ". " Ça sera un projet international, avec des Allemands, des Américains, des Russes, des Arméniens, des Lettons, des Philippins. C’est comme un théâtre du monde ", dit-il.

AFP