La première commémoration de l’assassinat de Lokman Slim aura lieu le jeudi 3 février à 15h. à son domicile familial, suivie d’une inauguration d’une exposition en son honneur, " Mon amie diabolique a dit ", à 16h. au Hangar, espace culturel du Centre de recherche UMAM qu’il avait fondé à Ghobeïri.

Le 3 février 2022, il y a un an, Lokman Slim, éditeur, réalisateur et activiste politique, était enlevé et assassiné au Liban-Sud. C’est un homme d’une polyvalence, d’une transversalité exceptionnelles qui a ainsi été arraché à sa famille, notamment sa sœur, Rasha el-Ameer, et sa femme, Monika Borgmann, qui poursuivent aujourd’hui son action, au nez et à la barbe des assassins, dont l’objectif était sans doute de tuer la vocation et le combat avec l’homme. Ces deux battantes, courageuses, déterminées, veillent à faire perdurer la mission de leur frère et époux, et à faire rayonner son empreinte dans le monde culturel, littéraire et politique. Ici Beyrouth est allé à leur rencontre pour en savoir plus.

L’oeuvre de Lokman Slim est en effet très riche. L’homme est le fondateur de Dar al-Jadeed, une maison d’édition cofondée en 2000 avec sa sœur Rasha, et qui a déjà publié les œuvres de plus de cent trente-cinq auteurs, dont la plus récente – " Le Liban et ses ‘saints patrons’ diaboliques " d’Iskandar Riachy –  paraîtra jeudi, en tant qu’hommage à Lokman Slim, qui tenait beaucoup à ce livre et qui avait d’ailleurs écrit sa préface. Dar el-Jadeed n’est autre que la traduction de l’univers culturel de Rasha et Lokman. La catalogue des auteurs publiés en langue arabe – parmi lesquels Iskandar Riachi, Ounsi el-Hage, Mahmoud Darwish, Abdallah Alaïly, Inaam Kachachi, Assem Salam, Ahmad Beydoun, Jad Tabet – ou traduits (essentiellement par Lokman!) – notamment Émile Cioran, René Char, Jean Tardieu, Nuccio Ordine – démontrent parfaitement le caractère transversal et pluridisciplinaire du frère et de la soeur.

Plus encore, M. Slim a créé, en partenariat avec sa femme Monika, un centre de recherche et de documentation, UMAM, dont la principale mission est de compiler des informations sur l’histoire de la guerre civile libanaise afin de tisser un lien entre le passé et le présent, dans une perspective d’établir une mémoire collective. Ce travail de mémoire, fait en pleine banlieue sud de Beyrouth sous la domination du Hezbollah, a aussi été transposé au niveau audiovisuel, à travers notamment le film " Massaker (massacre en Allemand), produit et réalisé par le couple, qui retrace les massacres perpétrés durant la guerre civile – notamment dans les camps de Sabra et Chatila en 1982, ou Tadmor, qui expose les conditions traumatiques de détention des Libanais dans la prison syrienne de Palmyre… La maison d’édition avait déjà publié le témoignage de Ali Abou Dehen, rescapé des prisons d’Assad après plus d’une décennie des tortures et des conditions de détention les plus ignominieuses, sous le titre: De retour de l’enfer. 

L’émotion est particulièrement vive au domicile des Slim, où l’énergie de Lokman reste omniprésente. La douleur qui habite en Rasha el-Ameer et Monika Borgmann est toujours immense. La plaie, le vide que laisse Lokman sont béants, proportionnels à la volonté sans faille des deux femmes de marcher sur ses pas et continuer à mettre en forme sa vision de résistance culturelle et politique.

" Lokman Slim est un homme de valeurs, de culture et de savoir. C’est un féru de philosophie et de littérature. Il est doué pour les langues et est fervent patriote. Il est moderne, ouvert d’esprit, visionnaire et courageux ". Lokman est au présent dans les phrases de Rasha et Monika, n’en déplaise aux assassins. Les deux femmes militent activement pour que justice soit faite et pour réaliser tous les projets et toutes les initiatives que Lokman Slim rêvait d’accomplir.

" La liste est exhaustive ", confie Rasha el-Ameer, un sourire timide aux lèvres. " Nous travaillons dur pour Lokman, car il est toujours vivant et présent en nous et avec nous. Nous voulons continuer à bâtir dans ce pays qu’il aimait tant, nous n’avons pas d’autre choix ! ", explique-t-elle.

Des propos entièrement approuvés par Monika Borgmann, qui affirme vouloir rester au Liban " coûte que coûte " afin de continuer sur les pas de son mari, le contraire étant tout simplement inenvisageable.

Lokman Slim avait été enlevé à Niha (caza de Tyr), dans la nuit du 3 février, et son corps sans vie avait été retrouvé dans sa voiture le lendemain matin, à Zahrani, au Liban-Sud, atteint de quatre balles dans la tête et d’une dans le dos. Il avait auparavant fait l’objet de nombreuses menaces de mort et d’une agression contre lui, à travers une attaque contre l’une des tentes du centre-ville où il devait donner une intervention sur la neutralité durant la révolution du 17 Octobre.