Le deuxième pari remporté haut la main par les expatriés libanais est celui de l’inscription du plus grand nombre d’électeurs possibles durant le court délai imparti par la loi. Pour cela, ils ont mis à contribution toutes les technologies qu’ils avaient à portée de main. C’est également à travers des webinaires qu’ils apprennent aujourd’hui à connaitre les nouveaux candidats. Tout cela dans un seul but, celui de récupérer la patrie ".

Alors qu’ils menaient campagne pour imposer leur droit de vote suivant leur région d’origine, les activistes de la diaspora s’efforçaient de remporter un autre pari, tout aussi difficile, celui de l’inscription des émigrés pour qu’ils puissent voter de l’étranger. Ceux-ci disposaient en fait, en vertu de la loi, d’un délai assez court, du 1er octobre au 20 novembre 2021, pour s’inscrire sur le site internet https://diasporavote.mfa.gov.lb/ consacré à cette fin par le ministère des Affaires étrangères.

" A la base, beaucoup de Libanais résidant à l’étranger ne savaient pas qu’ils avaient le droit de voter, ils ne savaient rien de la loi électorale, comment fonctionne la proportionnelle ou le vote préférentiel. Notre première responsabilité était de les informer ", se souvient Souraya Al-Ahmar, membre fondateur du réseau TLDN, The Lebanese Diaspora Network.

" Nous avons encouragé les émigrés à s’inscrire, même avant le début du délai d’enregistrement, en coordination avec les autres regroupements de la diaspora ", précise Rabih el-Amine, président du Conseil des directeurs exécutifs libanais (LEC), basé à Riyad. " Nous leur avons expliqué que l’inscription, puis la participation au vote, est très importante pour que la voix des expatriés porte ", ajoute-t-il.

TLDN, LEC et les autres collectifs de la diaspora, notamment Wassil Sawtak et Sawti, ainsi que de nombreux volontaires, ont donc entrepris d’expliquer aux émigrés libanais comment fonctionne la loi électorale, mais aussi de les convaincre de s’inscrire, car beaucoup parmi eux croyaient que leur vote ne ferait aucune différence. " Nous leur avons notamment dit que cette année, des candidats des partis alternatifs se présentent, et il faut leur donner une chance " explique Souraya Al-Ahmar.

Toutes ces organisations ont collaboré car l’inscription s’est très vite avérée difficile et ardue, et le site du ministère compliqué. Durant les 50 jours consacrés à l’enregistrement, les expatriés et collectifs ont prouvé qu’ils avaient une inventivité à toute épreuve et une volonté de fer. Il s’agissait non seulement de trouver le plus grand nombre de Libanais vivant dans leur ville ou pays, et de les contacter, mais aussi de les convaincre de la nécessité de s’inscrire, et surtout de les aider à le faire.

Zoom et traiteurs libanais

" Nous avons été à leur rencontre, devant les lieux de cultes libanais, les restaurants libanais, les traiteurs libanais, des IPads à la main ", raconte Souraya Al-Ahmar, qui ajoute que "nous avons ouvert des bureaux d’inscription en weekend, par exemple à Paris, Sydney, aux Etats-Unis ou à Londres ".
Une des initiatives les plus innovatrices a sans doute été les différents " marathons d’inscription " sur zoom, organisés par des groupes de la diaspora, en collaboration parfois avec des organisations de la société civile basées au Liban. Durant ces webinaires, qui ont parfois duré 48 heures d’affilée, un émigré installé à Paris ou à Ryad pouvait par exemple expliquer à un compatriote à Londres ou à Buenos Aires comment sauvegarder un document sur le site, ou remplir telle ou telle case.

Les nombreux volontaires, tous des bénévoles, ont consacré tellement de temps et d’énergie à cette tâche, qu’ils ont fini par comprendre tous les rouages du site, et établir une liste d’astuces à même de faciliter ce processus. Une liste qui a été distribuée dans tous les groupes WhatsApp de la diaspora, et que chaque volontaire utilisait pour inscrire ses compatriotes.

" Nous avons mené une campagne dans les médias pour encourager les émigrés à s’inscrire et empêcher toute tentative du gouvernement de les priver du droit de vote ", précise Rabih el-Amine, qui note également que les autorités ont fait perdre des voix à la diaspora, en ne comptabilisant pas, par exemple, tous ceux qui avaient un visa de visite, comme les familles de nombreux Libanais du Golfe, qui savaient d’ores et déjà qu’elles ne seraient pas au Liban en mai, lors des élections.

Les efforts des militants ont abouti et le résultat a été impressionnant : 244 442 personnes inscrites, contre 92 810 en 2018 !

Les groupes de la diaspora ont célébré leur succès…en ligne, dans un autre webinaire. Ce qui n’est pas étonnant, pour deux raisons. D’abord, les émigrés libanais sont de fervents utilisateurs de la technologie, tout comme les autres habitants des pays où ils résident, et où, contrairement à leur mère-patrie, l’internet est ultra-rapide et l’électricité fournie 24 heures sur 24. Ensuite, ces activistes émigrés qui travaillent ensemble en communiquant le plus souvent par WhatsApp et Zoom, ne se connaissent pas en personne. " On a fait connaissance à travers les réseaux sociaux, et nos relations se sont développées à travers les écrans ", relève Souraya Al-Ahmar.

Les leçons de 2018

Après vérification par le ministère de l’Intérieur, près de 20 mille émigrés inscrits ne remplissaient pas toutes les conditions, et le nombre final d’électeurs dans la diaspora admis à voter a été fixé à 225 114. Ce nombre est largement supérieur aux 82 965 expatriés qui avaient été admis à voter en 2018, dont seuls 46 799 s’étaient effectivement rendus aux urnes.

Si près de la moitié des personnes inscrites seulement ont effectivement voté en 2018, comment faire pour que cela ne se répète pas aujourd’hui ?

Les collectifs d’émigrés s’activent à tirer les leçons des élections de 2018 pour éviter qu’elles ne se reproduisent de nouveau en 2022. Ils contactent régulièrement le ministère de l’Intérieur pour faire le suivi des préparatifs des élections à l’étranger. Pour l’instant, les informations sont limitées. " A trois mois des élections, peu de choses ont été mises en place. On ne sait toujours pas combien de bureaux de vote il y aura dans chaque pays, et dans quelles villes ils seront. Nous attendons tout cela pour savoir comment agir afin de faciliter le vote et le rendre plus accessible aux gens ", souligne Souraya Al-Ahmar.

Elle note par exemple qu’en 2018, beaucoup d’électeurs devaient prendre un train pour se rendre au bureau de vote qui leur avait été assigné, ce qui avait découragé certains. De plus, en 2018, les ambassades n’avaient pas les adresses mails des inscrits, et ne pouvaient pas les contacter, ce qui n’est pas le cas à présent puisque les inscriptions se sont faites en ligne, et les confirmations ont été envoyées par mail. Par conséquent, elle espère que les ambassades communiqueront mieux avec les électeurs et leur donneront toutes les informations.

Les militants de la diaspora comptent bien, dès que les détails logistiques seront fournis par l’Etat, contribuer à la réussite du scrutin à l’étranger, au niveau de la communication, des transports, et même d’un éventuel soutien aux ambassades et consulats pour les bureaux de vote, si besoin.

A la rencontre des candidats

Pour justement mieux préparer les élections, et s’y préparer, TLDN organise depuis un an des webinaires portant sur l’échéance législative. Sous les titre " Parlons élections ", les réunions en zoom sur le site  www.thelebanesediaspora.net donnent la parole à des experts et groupes de la société civile, mais surtout à des groupes issus de la révolution de 2019 et des candidats de la société civile, sur lesquels les émigrés, comme beaucoup de résidents, fondent de grands espoirs.

" L’information est indispensable et c’est un droit ", précise Souraya, qui souligne la nécessite de donner des chances aux partis alternatifs, qui ont déjà leur vision et leur programme mais n’ont pas toujours les moyens de s’exprimer sur les médias. " Nous avons ressenti le besoin de nous informer, de les écouter, mais aussi de donner cette opportunité à tous les Libanais, surtout aux expatriés, qui sont loin de ce qui se passe au Liban ", explique la militante.

Les dernières réunions ont été axées sur des candidats, et ont accueilli notamment " Shamalouna ", regroupement de candidats dans la circonscription Nord III (Zghorta, Koura, Bcharré et Batroun), " Madinati ", Josephine Zgheib (candidate au Kesrouan) et la coalition du Akkar.

Les participants aux rencontres y assistent via zoom, ou en live sur Facebook. Ils ont également la possibilité de revoir le webinaire en replay sur le site. " Les groupes et candidats exposent leurs programmes et répondent à toutes les questions, ce qui donne lieu à un échange très intéressant ", note Souraya Al-Ahmar.

Il est intéressant de noter qu’un expatrié s’est porté candidat pour les élections de 2022. Il s’agit de Paul Tabar, un Libanais émigré en Australie, qui s’est présenté pour les primaires de Shamalouna (Nord III).

Récupérer la patrie

Les expatriés libanais sont certains qu’ils peuvent faire une grande différence lors des élections. " Bien sûr, on ne s’attend pas à ce que le changement soit énorme, mais ce sera un premier pas. Même si on n’obtient qu’un petit nombre de parlementaires et pas la majorité, ce sera un très bon début ", confie Souraya Al-Ahmar.

Elle ajoute : " Qui veut peut. Tout ce réseau mobilisé pour les élections croit dans la même cause, a le même narratif, venir aider notre pays et le sauver. Au-delà des contributions financières et caritatives, le vrai changement commence par la récupération de notre patrie. On est décidé à y arriver, on ne baissera pas les bras ".

Ces militants expatriés sont tous des bénévoles. " Nous sommes des parents pour la plupart d’entre nous. Nous travaillons tous, mais trouvons du temps à consacrer au Liban, soit très tôt ou très tard en journée, soit pendant notre pause déjeuner ", précise Souraya.

" La diaspora essaie d’aider en envoyant de l’argent, et en faisant du lobbying pour que le pays ne s’effondre pas, mais nous pouvons et voulons faire plus ", souligne Rabih el-Amine.

Il ajoute : " Il est vrai que l’inscription a permis à près d’un quart de million d’expatriés de voter lors du prochain scrutin, mais en fait, un bien plus grand nombre, près de 750.000 émigrés, peuvent jouer un rôle indirect dans le scrutin, en influençant les choix de leurs proches et amis et en les encourageant à voter pour de nouveaux candidats, qui répondent à certains critères, et qui pourraient contribuer à sauver le pays ".

Parmi les expatriés, les partis politiques traditionnels ont encore des partisans. Mais pour ce qui est de TLDN, LEC et de nombreux collectifs de la diaspora, leurs membres sont indépendants et appuient le changement politique prôné par la " Thawra " du 17 octobre 2019.  D’ailleurs, beaucoup d’entre eux se sont rencontrés lors des rassemblements qui ont eu lieu en soutien à cette révolution. Et ils coopèrent tous ensemble, comme cela a été prouvé lors des marathons d’inscriptions des Libanais de l’étranger, qui ont rapproché encore plus les divers groupes et organisations de la diaspora.