L’interview du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, à la chaine iranienne " qanat al-alam " a été marquée par des accusations contre l’armée libanaise, que le leader chiite n’a pourtant pas l’habitude d’attaquer de front. " Il n’existe pas de bases américaines au Liban, mais ils (les Américains, ndlr) ont leur présence au sein de l’institution militaire (libanaise, ndlr) et il existe des officiers américains à Yarzé (siège du commandement de l’armée libanaise, ndlr), l’ambassadrice américaine y passe tout son temps et est collée à l’armée ", a affirmé le chef du Hezb.

Inédits, surtout par leur gravité, les propos visent à priori le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun. L’enjeu de la présidentielle, à laquelle ce dernier est candidat officieux, les sous-tend, certes. Le Hezbollah ne manque pas de rappeler implicitement quand il le faut que sa couverture politique est indispensable à toute réussite électorale. Mais le leader chiite aurait surtout entendu adresser des messages liés à deux développements récents : la relance des négociations entre le Liban et Israël sur la délimitation de leur frontière maritime (dossier sur lequel l’armée avait eu un mot à dire), et une initiative récente du général Joseph Aoun de débloquer des aides américaines à l’armée.

Frontières maritimes  

L’armée avait pris l’initiative de défendre la ligne 29 comme point de départ de ces négociations, après leur courte reprise en octobre 2020. Cette ligne étend de 1430 km² la surface maritime libanaise par rapport à la ligne 23 que retient la carte officielle transmise par le Liban à l’ONU en 2011. L’armée avait attiré l’attention du gouvernement sur la nécessité de corriger la carte en amendant le décret 6433/2011. Ce projet de décret, transmis par le cabinet à Baabda en avril 2021 n’a jamais été signé. La visite à Beyrouth en début de semaine du médiateur américain, Amos Hochstein a confirmé la reprise des négociations sur la base d’un renoncement définitif des autorités libanaises à la ligne 29, voire un retour possible à la ligne Hof (plus en retrait que la ligne 23), éventualité que n’écarte pas, pour Ici Beyrouth, le consultant et analyste géopolitique, le général à la retraite Khalil Hélou.

Recevant mercredi le médiateur américain, le général Joseph Aoun a fait valoir que " l’institution militaire soutient toute décision du pouvoir politique dans cette affaire ". C’est la seule citation divulguée par son bureau de presse. Ainsi mise en avant, elle serait une réaction (de réassurance ?) au secrétaire général du Hezb, ou en tout cas un indice du lien entre les propos de ce dernier et les négociations, analyse pour Ici Beyrouth le journaliste Ali al-Amine.

La position officielle constante du chef du Hezb sur ce dossier a consisté à ne pas s’exprimer sur une affaire " qui relève de l’État ".  Mais il serait naïf d’écarter l’influence directe de son parti sur un dossier à portée stratégique régionale, susceptible d’être monnayé par l’Iran auprès des États-Unis, ajoute M. al-Amine. Un dossier sur lequel le Hezbollah a peut-être fini par neutraliser, " en l’anticipant, selon sa méthode habituelle ", le rôle de l’armée.

Initiative contestée

Mais les attaques du chef du Hezb ont aussi coïncidé avec une initiative récente du commandant en chef de l’armée, datant du début du mois de février, comme le fait remarquer le général Hélou.  Cette initiative a consisté à verser des aides monétaires en espèces aux soldats et officiers à partir d’aides américaines, mais sans passer par la procédure institutionnelle – dans un souci plausible d’éviter des blocages à caractère politique en facilitant des aides destinées explicitement à soutenir les effectifs en temps de crise.

Ainsi, les 90 mille soldats et officiers de l’armée ont commencé à percevoir il y a quelques jours directement un versement mensuel de 100 dollars US en espèces, puisés dans des aides américaines d’au moins 60 millions de dollars reçues il y a plusieurs mois par la Troupe. Le message de Nasrallah se voudrait, dans ce contexte, une tentative de " rappel à l’ordre "…