L’information a eu l’effet d’une foudre. Nul n’a osé y croire. Nul n’a voulu y croire. "Fake news", s’empresseront de souligner certains, comme pour se retrancher dans le déni. Et pourtant…

La terrible annonce de la subite disparition de Michel Mecattaf, terrassé par une crise cardiaque foudroyante pendant une randonnée vendredi matin à Faraya, a non seulement provoqué un choc traumatisant, mais a surtout suscité un profond sentiment de révolte et d’écœurement…

Révolte parce que Michel Mecattaf a très mal vécu ces derniers mois les répugnantes épreuves qui lui ont été infligées en avril 2021 par le régime et le camp Aoun de façon incroyablement arbitraire. "C’est la première victime de Ghada Aoun", s’exclamera l’un de ceux qui ont suivi de près ce que d’aucuns ont appelé "l’affaire Mecattaf". Un sentiment de révolte d’ailleurs largement partagé par une grande partie de l’opinion.

Écœurement parce que Michel Mecattaf représentait une certaine image du Liban, un symbole de réussite, un exemple de comportement social et personnel affable que se sont acharnés à détruire cyniquement, avec une inexplicable haine, ceux qui, pour le compte du régime et de ses alliés, ont orchestré une injustifiable cabale contre lui. "Il représentait l’une des figures de notre société qui ne ressemble en rien à ce que nous voyons aujourd’hui", dira de lui avec grande amertume l’ancien député et secrétaire général du 14 Mars Farès Souhaid, qui a été pendant de très longues années son compagnon de route, avec Samir Frangié et Pierre Gemayel, entre autres. "Il était raffiné, éduqué, cultivé, affable, bon vivant, généreux, et surtout modeste et discret", relève Farès Souhaid. Des qualités qui se font de plus en plus rares aujourd’hui…

Une renommée internationale     

Mais c’est surtout au plan professionnel et politique que Michel Mecattaf a été un exemple de réussite. Il était à la tête d’une entreprise familiale fondée il y a 80 ans par son père. Axant son activité sur le transport de devises entre le Liban et les pays étrangers, dans les deux sens, l’entreprise Mecattaf avait acquis au fil des ans, grâce à son sérieux, sa rigueur, son professionnalisme et sa persévérance, une solide renommée internationale qui s’était ancrée dans ce domaine tout au long des décennies passées. Elle avait réussi, et ce n’est pas peu, à acquérir la confiance des plus grandes entreprises financières américaines et européennes, notamment au niveau des milieux bancaires à New York, qui traitaient avec elle depuis plusieurs décennies sans que cette confiance et cette renommée internationale ne soient jamais remises en cause.

Mais ceux qui tirent les ficelles au sein de l’axe CPL-Hezbollah en ont décidé autrement. Se livrant à une gesticulation théâtrale et totalement burlesque, en avril 2021, Ghada Aoun avait ainsi entrepris de prendre d’assaut par effraction, manu militari, le siège de la société Mecattaf à Awkar, plaçant des scellés pour fermer carrément l’entreprise (!) et mettant la main sur les ordinateurs et divers documents, alors même qu’elle avait été dessaisie des affaires financières par son supérieur hiérarchique, le Procureur de la République Ghassan Oueidate. Mais elle a fait fi de cette décision. Elle s’appuyait dans son entreprise de sape – le comble pour un magistrat – sur des partisans aounistes surexcités qui l’ovationnaient en pleine rue, comme dans un meeting politicien de bas niveau, ne comprenant rien dans le rôle et la fonction d’une entreprise de pourvoyeur de fonds agissant en toute légalité sous la houlette de l’État libanais, avec la confiance des plus hautes autorités financières et monétaires américaines et européennes.

Les accusations (de transferts de fonds à l’étranger!) lancées par Ghada Aoun n’ont jamais eu de suites, preuve de leur caractère fallacieux. Mais entretemps, et pour d’obscures considérations bassement politiciennes en rapport avec une non moins obscure lutte de pouvoir, la réputation d’une famille respectable a été trainée dans la boue sans aucune justification, et le labeur de toute une vie, sur plusieurs générations, a été détruit de manière arbitraire pour assouvir la soif de pouvoir de certains privilégiés ou pour faire le jeu de ceux – Hezbollah en tête – qui cherchent à imposer un nouveau fait accompli politico-financier aux antipodes de l’image traditionnelle du Liban.

Force est de relever dans ce contexte que la fermeture de l’entreprise Mecattaf laissait à n’en point douter le champ libre à des affairistes du camp Hezbollah-CPL, qui cherchaient vraisemblablement à contrôler, eux, les opérations de transfert de devises entre le Liban et les pays étrangers. Comment expliquer autrement que la soi-disant opération de lutte contre de prétendues malversations financières s’accompagnait, et s’accompagne toujours, dans le même temps d’un laxisme flagrant à l’égard de l’organisme du Hezbollah "Qard el-Hassan", véritable réseau financier totalement illégal, non reconnu par l’État et échappant à tout contrôle officiel?

Mais Ghada Aoun, et derrière elle le régime en place et son mentor, se souciait très peu semble-t-il du fait que cette destruction du travail de toute une vie ne pouvait pas rester sans séquelles. Profondément ulcéré par de tels égarements destructeurs, Michel Mecattaf (qui continuait à payer ses employés, malgré la fermeture forcée de son entreprise) ne vivait plus ces derniers mois. Rien d’étonnant de ce fait que son cœur ait lâché de la sorte…

L’engagement politique

Si Michel Mecattaf a été de cette manière la cible d’une cabale sans pitié orchestrée par les gens du régime, c’est à l’évidence parce qu’il gênait non seulement dans les affaires, mais surtout au niveau de l’action politique. Compagnon de route de Pierre Gemayel, dont il était très proche, il avait joué un rôle primordial, aux côtés de lui dans la réunification, la réconciliation interne et le redressement du parti Kataëb, après la phase de l’occupation syrienne qui avait eu pour effet de marginaliser le parti.

Michel Mecattaf a également joué un rôle central lors de la Révolution du Cèdre, en 2005 et 2006, aux côtés de Samir Frangié, Farès Souhaid, Pierre Gemayel et bien d’autres. Son action s’est poursuivie dans le cadre du courant souverainiste durant toutes les années passées. Car en plus de son indéniable charisme et de ses nombreuses qualités personnelles, il demeurait attaché aux fondamentaux au plan national, rejetant toute concession au niveau de la défense de la souveraineté, de l’indépendance réelle, du pluralisme et des valeurs démocratiques. Fidèle à cet engagement, il s’était présenté aux élections législatives en 2018 sur la liste soutenue par les Forces libanaises et avait pris l’initiative de lancer sur le marché médiatique un quotidien engagé, le Nida’ el-Watan, l’un des principaux soutiens du courant souverainiste.

Les cabales ainsi que les opérations haineuses, théâtrales et populistes des gens du régime – opérations dénoncées sans détours par le patriarche maronite Béchara Raï et par le Premier ministre Nagib Mikati – ont sans doute enregistré une première victime en ce funeste vendredi 18 mars. Mais Michel Mecattaf peut reposer en paix et être confiant que ses nombreux amis et compagnons de route ne baisseront pas les bras et poursuivront sans relâche le combat mené pour le recouvrement d’une souveraineté bafouée depuis de nombreuses décennies.