Une nouvelle affaire de répression flagrante visant la liberté d’expression semble poindre à l’horizon. Le procureur général près la Cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, a en effet lancé une attaque au vitriol contre notre confrère Marcel Ghanem de la MTV, indiquant qu’elle se réserve le droit d’engager des poursuites judiciaires contre lui. Elle l’accuse de lui avoir porté atteinte dans son émission télévisée " Sar el Wa’et ", et elle a demandé au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) de " prendre une position claire " à l’égard de M. Ghanem.

C’est au lendemain de l’arrestation de Raja Salamé, frère du gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, dans la soirée du 17 mars, que notre confrère a introduit son émission en soulignant que le Liban a perdu toute souveraineté et que la mainmise du Hezbollah sur les institutions de l’Etat se manifeste notamment par " les poursuites engagées par le juge Aoun contre certaines personnalités ".

M. Ghanem a été plus loin en défiant Ghada Aoun d’enquêter sur Qard al-Hassan (institution illégale de microfinance affiliée au Hezbollah) ou d’arrêter les tireurs de Tayouné, au lieu de s’acharner uniquement sur les frères Salamé.

En réponse à ces attaques, la magistrate a publié, mercredi soir, un communiqué dans lequel elle souligne  que " le journaliste Marcel Ghanem s’est attaqué à moi de façon inédite, mon seul tort étant d’exercer toutes mes prérogatives dans les enquêtes et les poursuites que j’engage (…), et cela le dérange ainsi que ses maîtres ". Et Mme Aoun de poursuivre : " Je souhaite que le Conseil supérieur de la magistrature prenne une position claire à l’égard de ce ciblage injustifiable et qui porte atteinte à ma personne mais aussi à tout le corps judiciaire, afin de terroriser tous les juges qui tentent d’ouvrir des dossiers qui déplaisent à tel politique ou tel journaliste (…). Je me réserve le droit d’engager des poursuites contre le journaliste précité ".

Michel Moawad et Nadim Gemayel

Ces " échanges " ont suscité la controverse dans les milieux politiques et juridiques. Dans son tweet publié mercredi, le député démissionnaire Michel Mouawad affirme que la " demande de la juge Ghada Aoun constitue une enfreinte à la Constitution et une atteinte grave aux libertés et, plus particulièrement à la liberté d’expression et de la presse ".

Abondant dans le même sens, le député démissionnaire Nadim Gemayel a relevé son soutien à notre confrère. Il a notamment souligné dans un tweet : " La liberté d’expression est sacrée. Nous condamnons fermement les tentatives ininterrompues exercées par le mandat actuel, qui visent à porter atteinte aux libertés. Nous l’avons déjà dit, le temps de l’occupation syrienne et de ses instruments judiciaires, tels que Adnane Addoum, est révolu ".

Deux sources membres du Front souverainiste, interrogées par Ici Beyrouth, indiquent de leur côté que l’" affaire " a pris une ampleur démesurée puisqu’aucune plainte judiciaire n’a été déposée par le procureur contre M. Ghanem. " Les deux parties ont chacune tenu des propos ou publié un communiqué, qui méritent d’être respectés. Aucune poursuite n’a été engagée. N’exagérons pas les choses ", soulignent les deux sources.

De son côté, une source judiciaire, également membre du Front souverainiste, a précisé que " sans vouloir prendre la défense du journaliste Marcel Ghanem, nous ne pouvons nier le fait que le procureur Ghada Aoun est un juge qui ne cache pas ses affiliations politiques et qui cherche, par tous les moyens, à faire taire les voix discordantes ".

Ce parcours professionnel, selon cette même source, lui a coûté la confiance des juges haut-gradés. Pour rappel, le procureur de la République lui avait, à plusieurs reprises, retiré de ses pouvoirs et avait interdit à la police judiciaire de la contacter. Plus encore, maintes plaintes ont été déposées contre elle au bureau de l’inspection judiciaire, pour fautes juridiques et disciplinaires, plaintes pour lesquelles elle refuse d’être notifiée par les huissiers.

" Le Courant Patriotique Libre (CPL), dont la magistrat est proche, instrumentalise cette dernière pour s’attaquer à des postes clés chrétiens, puisqu’ils n’osent pas toucher aux postes musulmans. Le Liban est pris en otage. La plainte déposée par le tribunal militaire contre le leader des Forces Libanaises (FL) Samir Geagea est étroitement liée à l’action menée par Ghada Aoun contre le gouverneur de la Banque du Liban. Nous pouvons y entrevoir la volonté iranienne d’imposer une mainmise sur les derniers rouages de l’Etat libanais ", indique la source précitée. Affaire à suivre.