Le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, est revenu à la charge sur les dossiers de la souveraineté et de la neutralité, dans le prolongement de l’initiative lancée par Bkerké le 27 février dernier, soulignant la nécessité pour le Liban d’avoir « une seule armée qui lui soit propre » et qui soit la seule habilitée à préserver sa souveraineté.


Dans un entretien télévisé exclusif accordé à Ici Beyrouth, le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï a réitéré son appel de juillet 2020 en faveur de la sanctuarisation du Liban des conflits régionaux, afin que le pays du Cèdre puisse recouvrer son statut de neutralité active et son rôle dans la région.
" Être neutre ne veut pas dire se mettre à l’écart. Nous avons une mission à exercer et un rôle à jouer dans cette région : un rôle de stabilité, de rencontre et d’ouverture, et nous sommes coupés du monde entier quand nous perdons notre identité ", a-t-il affirmé.

" Le Liban n’est pas un pays guerrier et doit se libérer de tous les conflits régionaux ", a-t-il martelé, avant de critiquer l’absence de souveraineté libanaise et l’existence des mini-Etats qui priment sur l’État libanais, dans une allusion tacite mais claire au Hezbollah. " Le Liban doit être souverain, il ne l’est pas ", a-t-il noté. " Au Liban, il y a des Républiques, et le pays n’a donc pas de souveraineté aux plans national, sécuritaire ou politique (…) Or il faut que le Liban ait une seule armée qui lui soit propre ", a-t-il poursuivi. " En cas d’agressions contre le Liban, de la part d’Israël ou d’autres pays, le Liban doit se défendre par ses propres forces ", a ajouté le cardinal Raï, même si " ce discours ne plait pas à certaines composantes du pays ".

" La neutralité est notre identité "
Depuis que Bkerké est redevenue le promoteur du discours sur la neutralité, les prises de position du patriarche maronite sont devenues un indicateur du pouls politique du pays, nombre de Libanais ayant repris cette revendication légitime pour sortir le pays de la crise politique dans laquelle il se trouve. " Il y a eu à cet égard une réaction positive à laquelle je ne m’attendais pas ", confie Mgr Raï à Ici Beyrouth. " Il ne s’agit pas d’une initiative de la part de Bkerké. La neutralité est notre identité propre. Le Liban est un pays de rencontre et de dialogue qui se différencie des autres pays par sa neutralité ", souligne Mgr Raï, intimement convaincu que le Liban et son peuple ne sont pas des va-t-en-guerre. " Tout Libanais songe à faire des contacts culturels, économiques, commerciaux, mais ne pense jamais à la guerre ", dit-il.

" Inquiétude sur l’exode des jeunes "
Interrogé sur l’émigration massive qui frappe le Liban – le pays est rentré dans sa troisième grande vague d’émigration après celle de la Première Guerre mondiale et après les guerres du Liban (1975-1990) – Mgr Raï garde espoir, mais reste fortement préoccupé par la situation. " Nous sommes en train de perdre le meilleur de nos forces ", s’inquiète le patriarche maronite, en se demandant qui prendra la relève si tous ses citoyens capables quittent leur pays à la recherche d’un avenir meilleur, d’autant que " ces jeunes ont besoin de travailler et de préparer leur avenir ".

Une présence chrétienne fondamentale
Concernant la place et le rôle des chrétiens du Liban, Mgr Raï affirme que tout le monde est d’accord sur le fait que ce pays " est différent des autres pays de la région grâce aux chrétiens ". Bien que des communautés chrétiennes soient présentes dans d’autres pays de la région, ces groupes religieux sont souvent marginalisés ou persécutés et n’ont pas de place prépondérante au sein du pouvoir, contrairement au Liban où le rôle des chrétiens est institutionnalisé. " Avec nos compatriotes musulmans libanais, qui diffèrent des musulmans d’autres pays, nous avons pu faire passer la culture chrétienne de démocratie, de liberté, de l’acceptation de l’autre dans sa différence " atteste le cardinal Raï, convaincu que c’est cette culture chrétienne qui a permis la création d’une nation avec ses propres caractéristiques et spécificités.

" Il faut que les législatives et la présidentielle aient lieu "
Le prélat maronite ne mâche pas ses mots à l’adresse de la classe politique libanaise et sa responsabilité dans la crise politique, sociale, économique et financière sans précédent qui ravage le Liban : " Qui vous a donné ce pouvoir de détruire le pays ? ", demande-t-il aux responsables, en les accusant de " délits politiques, économiques et sociaux ".

Il s’inquiète par ailleurs d’un éventuel torpillage des prochaines élections législatives prévues dans les prochains mois. " Il faut absolument que les élections législatives et présidentielle se tiennent en 2022, sinon ce serait la destruction totale du pays ", souligne-t-il. La date de la tenue des législatives est au centre d’un conflit institutionnel entre le président du Parlement et la présidence de la République, ce qui fait craindre un report ou une annulation du prochain scrutin, d’autant que l’inquiétude gagnerait certains partis politiques quant à des résultats qui pourraient être en leur défaveur.

Le cardinal Raï a en outre confirmé à Ici Beyrouth le désir incessant du Pape François de se rendre au Liban en visite officielle, précisant toutefois la nécessité d’une certaine stabilité politique pour que la visite du Saint-Père soit fructueuse.

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