Ce n’est pas la première fois qu’une figure de la droite, en général, ou des Républicains en particulier adopte des slogans d’extrême droite pour attirer des électeurs. Surtout si cette recette s’avère de plus en plus payante avec un Eric Zemmour qui bouscule une Marine Le Pen en perte de vitesse. Le dernier plagiat en date, c’est la candidate des Républicains, Valérie Pécresse, qui en est l’auteur. Et pas n’importe quel empreint, puisqu’il s’agit ni plus ni moins de la théorie complotiste du " grand remplacement ", cheval de bataille de l’extrême droite européenne et épouvantail efficace pour les électeurs crédules et xénophobes.

La formule a immédiatement été pointée du doigt à gauche: " C’est un Rubicon de plus qui est franchi par la droite ", a estimé la candidate socialiste Anne Hidalgo. " Le grand remplacement de la droite par l’extrême droite, voilà ce qui est apparu ce week-end. Trois candidatures pour une même haine ", a affirmé la députée LFI Clémentine Autain. L’association SOS Racisme a, elle, dénoncé des propos " pas dignes d’une prétendante majeure à la présidence de la République ".

Pécresse a dû s’expliquer lundi sur son emploi de l’expression complotiste, qui illustre la difficulté de la candidate LR à la présidentielle pour réunir toutes les sensibilités de la droite. " Face à ces questions vitales " qui attendent la France, " pas de fatalité, ni au grand déclassement ni au grand remplacement ", avait affirmé la candidate lors de son premier grand meeting de campagne, critiqué autant sur la forme que sur le fond, dimanche au Zénith à Paris. Mme Pécresse a tenté une explication lundi matin sur RTL : " Ca veut dire que je ne me résigne pas justement aux théories d’Éric Zemmour et aux théories de l’extrême droite, parce que je sais qu’une autre voie est possible ".

 

Un " grand écart "
Le politologue Pascal Perrinneau souligne lui aussi " une lecture un peu biaisée, car à aucun moment elle ne se rallie à cette théorie ". Mais la candidate a beaucoup évoqué l' "ordre " dans son discours dimanche, parlant de " croisée des chemins " ou de Français " de papier ". Valérie Pécresse avait déjà utilisé en novembre cette expression renvoyant à la théorie complotiste d’un " grand remplacement ", organisé par les élites, de la population européenne par des immigrés non européens. Pour son indulgence avec cette notion, Eric Ciotti s’était attiré des critiques à l’automne. Le député des Alpes-Maritimes, qui a fait environ 40% des voix lors de la primaire LR, a estimé lundi que " ces deux menaces " que sont " le déclassement économique et le changement identitaire " sont " deux sujets majeurs au coeur des préoccupations des Français ". " Les commentateurs peuvent s’en étonner, nier la réalité, mais les Français mesurent au quotidien cette réalité ", a-t-il ajouté sur BFMTV. Son de cloche similaire pour Bruno Retailleau sur Public Sénat: " On marche sur la tête. Il faut lutter contre la police de la pensée médiatique ou politique. "

Pour Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos, " le problème est qu’elle essaie de tenir les deux tendances de l’électorat de droite, qui sont peut-être incompatibles ". " C’est un objectif extrêmement compliqué, qui entraîne un grand écart permanent d’où des situations qui créent une ambiguïté ", ajoute-t-il.

La candidate LR est en effet durement attaquée sur sa droite par Eric Zemmour (Reconquête!), qui avait estimé samedi qu’elle n’était " pas de droite ". Dans le même temps, Mme Pécresse, qui a reçu la bénédiction de l’ancien Premier ministre Edouard Balladur venu la soutenir à son QG lundi, a subi plusieurs défections vers Emmanuel Macron la semaine dernière. Dont celle d’Eric Woerth qui s’est étonné lundi du " décalage extraordinaire " entre les déclarations de Mme Pécresse lors de cette campagne et les raisons qui l’avaient poussée à quitter LR en 2019 parce que le parti penchait, selon elle, trop à droite.

 

Théorie néo-nazie
Pour revenir à la thèse du " grand remplacement " supposé de la population européenne par une population immigrée, elle a été conçue par d’anciens nazis après la guerre, avant d’être popularisée après les attentats du 11 septembre 2001. Après 1945, l’extrême droite radicale va développer la thématique de la destruction de l’Europe par une " colonisation " d’immigrés africains, en la disant œuvre du complot juif, explique l’historien Nicolas Lebourg. Après les attentats du 11 septembre 2001, ses partisans vont en extraire " l’argumentaire antisémite, pour le faire seulement mythe mobilisateur raciste et islamophobe ", précise-t-il dans Médiapart. " Dès 1946, des groupes d’anciens Waffen-SS affirmaient que désormais toute l’Europe était occupée par les +nègres+ (les soldats américains) et les +mongols+ (les soldats russes), et qu’il s’agissait de libérer le continent de +l’occupation+ par +une nouvelle résistance+ ".

Mais c’est l’ancien trotskyste et ancien Waffen-SS français René Binet qui va diffuser, sur le plan international, la thématique d’un grand remplacement organisé par les juifs.  Après les attentats du 11 septembre 2001, les partisans de cette thèse accusent le " multiculturalisme ", au lieu du métissage, pour avancer que les populations immigrées musulmanes vont " remplacer " les populations " blanches et chrétiennes ".

Le tueur de Christchurch en 2019 (ses attentats contre 2 mosquées avaient fait 51 morts) avait repris l’expression dans un manifeste, où il faisait référence à un " génocide blanc ".

Cette thèse comporte un aspect complotiste, car le " remplacement " est présenté " comme sciemment organisé par les +représentants de la superclasse mondiale+ ", note l’historienne Valérie Igounet dans une étude pour la Fondation Jean Jaurès. L’écrivain Renaud Camus l’a popularisée dans un ouvrage publié en 2011 intitulé " Le grand remplacement ", où il " insiste sur une +colonisation démographique+ ". " En d’autres termes, la France s’apprêterait à passer sous domination musulmane ", explique Mme Igounet.

Parmi les mesures proposées par M. Camus pour faire échec au " remplacisme " figurent la suppression du droit du sol, l’abrogation du regroupement familial, l’interdiction d’adopter des enfants extra-européens, la création d’un haut-commissariat à la Remigration, ou l’attribution exclusive des aides sociales aux nationaux et ressortissants européens.

Avec AFP