Geert Laporte est directeur de l’European Think Tanks Group (ETTG). Il a travaillé sur l’Agenda 2030 pour le développement durable, ainsi que sur les partenariats entre l’UE et l’Afrique et la politique extérieure de l’UE. 

Après deux ans sans rencontre majeure, pandémie oblige, l’Afrique et l’Europe se sont à nouveau rencontré ces 17 et 18 février 2022 à Bruxelles, lors d’un sommet axé sur la coopération. L’Afrique devra trouver des moyens de développement " propres " à l’aune du Green New Deal européen. Selon des estimations, 600 millions d’africains vivent sans électricité. Le président du Sénégal Macky Sall a rappelé le besoin d’un accès aux nouvelles énergies sans polluer, en mettant l’accent sur le développement économique. Ici Beyrouth revient sur ce sommet extraordinaire avec Geert Laporte, président de l’ETTG et spécialiste du développement européen en Afrique.

À l’issue du sommet UE-Afrique qui s’est tenu ces 17 et 18 février, quels sont les objectifs visés par les dirigeants africains et européens pour les prochaines années ?

Geert Laporte : L’Europe et l’Afrique qui en sont à leur sixième sommet veulent avoir une coopération de continent à continent. De nombreux thèmes dépassent le niveau national de chaque état africain ou européen et ils sont disposés à trouver des solutions communes. Avec la crise du Covid, le thème des vaccins est l’un des sujets importants. Il y avait aussi la paix et la sécurité, mais également la transition verte, c’est-à-dire des économies qui tiennent compte des énergies renouvelables.

Êtes-vous satisfait de ce sommet et quelles sont vos recommandations en tant que président de l’European Think Tanks Group ?

Deux niveaux sont à mentionner. Tout d’abord, le processus du sommet était un bon processus, il était différent des sommets précédents. Dans le passé, il y avait toujours l’Union européenne qui tenait la plume d’une déclaration et le côté africain était assez réactif. Cette fois-ci, j’ai l’impression qu’il y avait un processus préparatoire assez solide avec des input (contributions) assez importants du côté africain, qui ont été intégré avec leurs recommandations et leurs suggestions dans le texte. On a eu l’impression d’un niveau d’équilibre qui était différent et certains des leaders africains l’ont relevé, comme par exemple Macky Sall le président du Sénégal et de l’Union africaine, qui a parlé d’une ‘nouvelle atmosphère de travail’, et d’un ‘nouvel espace de travail’ selon le président de la Commission africaine. J’ai l’impression que les deux parties ont été assez satisfaites de la manière dont les discussions ont été menées. Il y avait aussi des groupes de travail des chefs d’Etat qui ont parlé des grands thèmes de ce dialogue Europe-Afrique.

Quand on regarde les résultats, je crois qu’on a tendance à dire que c’était un dialogue qui portait surtout sur les problèmes en Afrique. S’il y a des problèmes en Afrique, il y a aussi des problèmes en Europe, et j’ai observé ce manque de réciprocité. On n’a presque pas parlé de la crise en Ukraine – une crise majeure en Europe –, ni de la situation de l’Etat de droit en Hongrie ou en Pologne. On a tendance à parler uniquement des problèmes qui se posent en Afrique. Même s’il y en a beaucoup, en terme d’emploi, de terrorisme, de sécurité et de pauvreté, avec 40 millions de personnes supplémentaires confrontées à des situations d’extrême pauvreté à cause du Covid. Cette réciprocité n’était pas entièrement là, surtout au niveau du financement. Parfois j’avais l’impression qu’on parlait beaucoup en terme de rapports Nord-Sud, avec l’Europe qui devrait " donner " des ressources financières à l’Afrique, sans parler de ce qu’on appelle les fonds de contrepartie, les " matching funds ". Donc c’est quelque chose qui pourrait encore s’améliorer dans l’avenir, on n’a pas encore de partenariat d’égal à égal.

L’Afrique est désormais un enjeu économique important, avec 2,5 milliards d’habitants à l’horizon 2050. Comment l’UE pourra-t-elle tirer son épingle du jeu face aux concurrents russes et chinois ?

C’est une question très importante. Actuellement, je crois que l’Afrique a le choix entre différents partenaires, et c’est une très bonne chose. L’Afrique ne dépend plus d’un unique partenaire comme l’UE, il y a d’autres partenaires qui s’intéressent à l’Afrique. Cela crée plus de moyens de pression et de sélection des partenaires dans différents domaines. Mais c’est vrai que cela rend le côté européen un peu nerveux. L’UE n’a pas eu l’habitude de traiter l’Afrique en concurrence avec d’autres partenaires comme la Chine, la Russie et la Turquie. Je pense que c’est surtout à l’Afrique de faire ses propres choix, et d’éviter qu’une dépendance qui existait vis-à-vis de l’Union européenne existe à nouveau avec d’autres partenaires. L’Afrique a vraiment besoin d’établir sa propre politique et de développer son continent selon sa propre stratégie.

C’est là que j’observe quelques soucis, sont financés par des bailleurs de fonds et de partenaires extérieurs, c’est un signe qui n’est pas positif. Je pense que le côté africain devrait faire plus d’efforts pout autofinancer ses propres institutions, y compris leurs programmes de sécurité, de transition économique et autre. Cela ne veut pas dire que les bailleurs de fond de doivent pas investir et mettre des moyens à disposition de l’Afrique, en effet cela doit être le cas. Mais le côté africain doit rester en charger de tout ce qu’il se passe sur le continent africain, ce qui n’est pas encore le cas.

Avec le retrait français du Mali et la fin de l’opération Barkhane, comment l’UE aborde-t-elle le volet sécuritaire qui reste un préalable à tout développement économique au long terme ?

Là aussi, je crois que c’est surtout une question des organisations régionales africaines. Il y a tout d’abord l’Union africaine, qui devrait jouer un rôle de premier plan, et la Cédéo, l’Organisation régionale pour l’Afrique de l’ouest. On voit que ces deux organisations dépendent en grande partie de financements européens, qui viennent de l’extérieur. La possibilité de jouer un vrai rôle régional n’est pas encore là. Il faudra avoir une action commune pour résister et s’attaquer au djihadisme au Sahel. Alors que la France quitte le Mali, le problème n’est évidemment pas résolu avec les Russes. C’est un problème essentiellement régional, et donc tous les pays de la région du Sahel doivent coopérer ensemble, ce qui est de plus en plus difficile avec la série de coups d’Etat observés récemment. Des tensions entre ces différents pays sont observées et le djihadisme devrait profiter de cette situation. Nous devons trouver des solutions communes, tout d’abord au niveau panafricain, régional et au niveau des partenaires de l’Afrique. Je pense que nous n’y sommes pas, et le danger reste imminent, pas uniquement au Sahel, puisque le djihadisme s’étend désormais vers le Mozambique et dans d’autres parties de l’Afrique.