L’invasion russe de l’Ukraine entre dans son quatrième mois, mais face à une résistance ukrainienne acharnée, Moscou a dû renoncer à prendre Kiev et a annoncé concentrer ses opérations dans l’Est.

Mais, là aussi, malgré de féroces combats depuis trois mois et des pertes sans doute très importantes des deux côtés, l’armée russe n’avance que très difficilement, laissant présager un long conflit d’usure.

En trois mois, le bilan humain est épouvantable: 234 enfants ukrainiens ont été tués et 433 blessés, des dizaines milliers de civils et de militaires ont péri, sans qu’il existe un bilan chiffré. Côté russe, 12.000 soldats tués. Plus de huit millions d’Ukrainiens ont été déplacés à l’intérieur de leur pays, s’y ajoutent 6,5 millions qui ont fui à l’étranger.

Vieillissant et brinquebalant, le " Z " russe continue toutefois d’arpenter les plaines d’Ukraine et de semer la mort et la destruction.

 

Les objectifs affichés par le Kremlin sont " la dénazification " de l’Ukraine et la sécurisation des territoires de l’Est, le Donbass, majoritairement russophones, car Moscou y accuse le pouvoir ukrainien d’y avoir perpétré un prétendu "génocide".

La Russie s’est dite mardi bien déterminée à atteindre " tous ses objectifs " en Ukraine, intensifiant son offensive contre la dernière poche de résistance de la région de Lougansk, dans l’Est.

Après avoir éloigné les forces russes des deux plus grandes villes du pays, Kiev et Kharkiv, les Ukrainiens reconnaissent des " difficultés " dans le Donbass, formé par les provinces de Lougansk et de Donetsk.

Les Russes admettent que le conflit va durer

Le ministre russe de la Défense et le secrétaire du puissant Conseil de sécurité de Russie ont tous deux laissé entendre mardi que Moscou allait devoir combattre longtemps en Ukraine pour atteindre les objectifs de son intervention, entrée dans son quatrième mois.

" Nous continuons " l’opération militaire spéciale " jusqu’à la réalisation de tous les objectifs, peu importe l’énorme aide occidentale au régime de Kiev et la pression sans précédent des sanctions ", a dit le ministre Sergueï Choïgou, lors d’une visio-conférence avec des homologues de l’ex-URSS partiellement retransmise à la télévision.

Le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou

 

Selon lui, les efforts russes pour éviter de faire des victimes civiles " ralentissent, bien sûr, le tempo de l’offensive, mais cela est délibéré ".
Un peu plus tôt, dans une rare interview accordée au journal russe Argoumenty i Fakty, le secrétaire du Conseil de sécurité, Nikolaï Patrouchev, a signifié que les opérations militaires dureraient le temps qu’il faudra.

" Nous ne courons pas après les délais ", a-t-il dit, " relevant que " les objectifs fixés par le président (Vladimir Poutine) seront remplis ". " Il ne peut en être autrement, la vérité est de notre côté ", a-t-il ajouté.

Des réfugiés du Donbass dont l’exode est plus difficile en raison de la position géographique de la région
Dizaines de milliers de morts

En trois mois de conflit armé, 234 enfants ont été tués et 433 blessés, a dénoncé mardi le bureau de la procureure générale d’Ukraine Iryna Venediktova.
Au total, des milliers de civils et de militaires ont péri, sans qu’il existe un bilan chiffré. Pour la seule ville de Marioupol, les autorités ukrainiennes parlent de 20.000 morts.

Côté russe, des sources occidentales évaluent à 12.000 le nombre des soldats tués, le Kremlin n’ayant admis que des " pertes importantes ".
L’Ukraine n’a pas fourni de bilan du nombre de ses militaires mis hors de combat.

 

Plus de huit millions d’Ukrainiens ont été déplacés à l’intérieur de leur pays, selon l’ONU. S’y ajoutent 6,5 millions qui ont fui à l’étranger, dont plus de la moitié – 3,4 millions – en Pologne.

Objectif Lougansk

Moscou concentre sa puissance de feu sur le réduit ukrainien de la région de Lougansk, cernant les villes de Severodonetsk et de Lyssytchansk.
Des combats sont en cours pour le contrôle de la ville de Lyman, un important noeud ferroviaire dont la prise constituerait un progrès important dans ces tentatives d’encerclement, a affirmé le chef des séparatistes prorusses de Donetsk, Denis Pouchiline.

 

" Des unités russes et de la milice populaire (l’armée séparatiste prorusse) sont entrées dans la ville ", a-t-il affirmé lors d’une émission pro-Kremlin diffusée sur Youtube, ces informations étant impossibles à vérifier dans l’immédiat.

Pour Kiev, la situation à Lougansk " empire d’heure en heure "

Les Ukrainiens ont admis mardi que la situation sur le terrain dans la région de Lougansk " empire d’heure en heure ", a déclaré mardi le gouverneur régional Serguiï Gaïdaï dans une vidéo postée sur sa chaîne Telegram.

 

" Les bombardements sont de plus en plus intenses " et " l’armée russe a décidé de détruire complètement Severodonetsk ", ville stratégique au nord-ouest de Lougansk, a ajouté M. Gaïdaï.

Severodonetsk " est en train d’être éliminé de la surface de la Terre ", a-t-il commenté, qualifiant la situation de " quasiment critique ".

Selon lui, la région de Lougansk " fait le maximum d’efforts pour que (les Russes) ne puissent pas progresser " depuis l’est du pays, notamment vers la ville symbole de Sloviansk, reprise aux séparatistes prorusses par Kiev en 2014.

 

" À partir d’aujourd’hui, nous pouvons dire que (les Russes) essaient de réaliser une attaque à grande échelle ", a conclu M. Gaïdaï. Avant d’ajouter: " Et dans la région de Donetsk, la situation est également devenue beaucoup plus compliquée " pour l’armée ukrainienne.

Le ministère ukrainien de la Défense a aussi évoqué d’intenses combats dans les environs des localités de Popasna et de Bakhmout, dont la chute donnerait aux Russes le contrôle d’un carrefour important pour l’effort de guerre ukrainien.

 

Les habitants rechignent à fuir malgré les risques: " Les gens ne veulent pas partir ", se désole le maire-adjoint de Bakhmout, Maxim Soutkovyï, devant un car d’évacuation à moitié vide.

Dans ce secteur, " l’ennemi a amélioré sa position tactique ", a admis mardi matin l’état-major de l’armée ukrainienne, qui assure que " la plus grande activité hostile " est observée " près de Lyssytchansk et de Severodonetsk ".

" C’est vraiment très difficile. Nous comprenons que les Russes ont maintenant jeté toutes leurs forces soit pour s’en emparer, soit pour assiéger toute la partie de la région de Lougansk qui est contrôlée par l’Ukraine ".

Retour progressif à la normale en revanche à Kharkiv, où le métro, qui a des mois durant servi d’abri contre les bombes, a été remis en service mardi.

 

Le front méridional

Le front méridional semble quant à lui stable, bien que les Ukrainiens y revendiquent des gains territoriaux.

Le commandement sud de l’armée ukrainienne a fait état, dans la nuit de lundi à mardi, d’une " avancée " de ses divisions " à travers la région de Mykolaïv en direction de la région de Kherson ", contrôlée par les Russes. Il a accusé les " occupants " d’avoir tué des civils cherchant à fuir en voiture.

 

Les forces ukrainiennes pilonnent dorénavant les positions russes avec des systèmes d’artillerie occidentaux tout nouvellement acheminés, en particulier des obusiers américains, a expliqué à l’AFP un porte-parole de l’armée ukrainienne.

De son côté, le maire de Marioupol, Vadim Boïtchenko, a accusé, dans une communication vidéo avec la conférence économique de Davos (Suisse), " les forces d’occupation russes " de se comporter en " Etat terroriste ".

 

Chars allemands

Dans ce contexte, Kiev appelle instamment les Occidentaux à lui livrer davantage d’armements.  " L’offensive russe dans le Donbass est une bataille impitoyable, la plus vaste sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale. J’exhorte nos partenaires à accélérer les livraisons d’armes et de munitions ", a ainsi lancé mardi le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kouleba.

 

Le président polonais Andrzej Duda, dont le pays a fourni à l’Ukraine ses chars soviétiques T-72, a reproché mardi à Berlin de tergiverser sur la livraison de blindés allemands Leopard, promis à la Pologne en contrepartie.

La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a reconnu qu’il y avait discussion, l’hebdomadaire Der Spiegel affirmant que celles-ci étaient dues à la demande de Varsovie de recevoir des chars de dernière génération.

 

Embargo sur le pétrole russe " dans les prochains jours "?

Un embargo de l’Union européenne sur le pétrole russe était par ailleurs toujours au centre des discussions, qui requièrent l’unanimité des pays membres de l’Union.

Le Premier ministre hongrois Viktor Orban

 

L’Allemagne et la France ont jugé possible d’y parvenir dans les prochains jours, mais le Premier ministre hongrois Viktor Orban, dont le pays dépend du pétrole russe, a jugé cette perspective " très improbable " dans l’immédiat.

Le dirigeant hongrois, arguant des répercussions de la guerre, a décrété mardi l’état d’urgence à partir de minuit dans son pays. La présidence française a assuré que " différentes options sont sur la table pour sortir de ce blocage " sur l’embargo.

En Russie, la répression continue

La répression continue en Russie: un tribunal de Moscou a ordonné mardi l’arrestation de deux blogueurs accusés de discréditer l’action de l’armée en Ukraine.
Les députés russes ont adopté en première lecture une proposition de loi qui doit permettre de fermer, sur simple décision du parquet, les médias étrangers accusés de diffuser des informations mensongères sur la guerre en Ukraine.

L’opposant russe Alexeï Navalny

 

L’opposant emprisonné Alexeï Navalny s’est servi d’un procès en appel, qui a sans surprise confirmé sa peine de 9 ans de camp, pour dénoncer à son tour une " guerre fondée sur un super mensonge ".

Enfin, Moscou a annoncé mardi interdire le territoire russe à 154 membres de la Chambre des Lords, chambre haute du Parlement britannique, en représailles aux sanctions visant la quasi-totalité des élus du Conseil de la Fédération de Russie.

Moscou risque le défaut de paiement

Les États-Unis ont décidé de mettre fin à une exemption permettant à Moscou de payer ses dettes en dollars, a annoncé mardi le Trésor américain, une décision qui pourrait précipiter le pays dans le défaut de paiement.

Cette annonce intervient deux jours avant la prochaine échéance de paiement pour Moscou, qui porte sur un peu plus de 100 millions de dollars d’intérêts sur deux obligations, dont l’une ne pouvant explicitement pas être payée en roubles.

Le siège du ministère russe des AE à Moscou

 

En place depuis le début des sanctions occidentales contre la Russie, en représailles à la guerre en Ukraine, cette exemption avait permis à Moscou d’échapper au défaut de paiement.

La dette extérieure (en devises étrangères) de la Russie représente, selon son ministère des Finances, environ 4.500 à 4.700 milliards de roubles (quelque 78 à 81 milliards de dollars au taux actuel), soit 20% de la dette publique totale.

Conférence de reconstruction en Suisse les 4 et 5 juillet

Une conférence de reconstruction de l’Ukraine se tiendra les 4 et 5 juillet en Suisse afin de mobiliser des fonds pour le pays frappé par des destructions massives depuis l’invasion russe, a annoncé mardi le président suisse à Davos.

 

Les détails sur les futurs participants sont pour l’instant inconnus, une invitation a été adressée à environ 40 dirigeants, mais la conférence devrait aborder notamment la question des contributions annoncées et à venir de la Banque mondiale, l’OCDE et l’Union européenne, a indiqué le président suisse Ignazio Cassis.
La conférence portera principalement sur les infrastructures, décimées par la guerre, ainsi que l’économie, les questions environnementales et sociales, et impliquera la mobilisation de fonds au travers d’un appel aux dons, a détaillé M. Cassis mardi.

Il ne s’agira pas que d’envoyer des fonds à l’Ukraine, a par ailleurs dit le chef d’Etat, affirmant qu' "il existe un danger que ces fonds atterrissent entre de mauvaises mains ", et évoquant l’importance " d’auditer le versement des fonds ".

Avec AFP