Fin de règne à Colombo. Le peuple sri-lankais a enfin réussi à chasser du pouvoir le président Gotabaya Rajapaksa, membre de la puissante dynastie éponyme, après des mois de chaos. Crise financière d’abord, mais surtout alimentaire et énergétique. La situation économique du pays devenait intenable et ressemble, bizarrement et en plusieurs points, à la crise économique et sociale libanaise. Elle se résume en deux mots: gabegie et mauvaise conjoncture. La pandémie de la Covid a privé le pays de l’activité touristique, principale source de devises avec les transferts de fonds de la diaspora. Le gouvernement a par ailleurs écouté le chant des sirènes chinoises en contractant des prêts auprès de Pékin pour lancer des projets faramineux et peu utiles (le même schéma se répète dans plusieurs pays d’Afrique). Ajouter à cela la corruption endémique, surtout parmi la classe dirigeante et le clan Rajapaksa, le cocktail est forcément très explosif. Les conséquences, pénurie de carburant, de courant, de produits alimentaires et autres nécessités ont poussé la population, dont 80% saute des repas selon l’ONU, à investir la rue.

Le président du Sri Lanka, Gotabaya Rajapaksa, a fui samedi son palais de Colombo quelques minutes avant qu’il ne soit pris d’assaut par des centaines de manifestants l’accusant d’être le responsable de la crise économique catastrophique que traverse le pays et voulant le chasser du pouvoir.

Le Premier ministre Ranil Wickremesinghe, qui est le prochain dans la ligne de succession si M. Rajapaksa démissionne, a aussitôt convoqué une réunion d’urgence du gouvernement pour discuter d’une " résolution rapide " de la crise. Dans un communiqué, il a convié les dirigeants des partis politiques à se joindre à cette réunion et a également demandé que le Parlement soit convoqué.

" Le président a été escorté en lieu sûr ", a indiqué une source de la Défense à l’AFP. " Il est toujours le président, il est protégé par une unité militaire ", a ajouté cette source, selon laquelle les soldats gardant la résidence officielle ont tiré en l’air pour dissuader les manifestants d’approcher jusqu’à ce que M. Rajapaksa soit évacué.

Les chaînes de télévision locales ont montré des images de centaines de personnes escaladant les grilles du palais présidentiel, un bâtiment datant de l’époque coloniale, situé en bord de mer et symbole du pouvoir au Sri Lanka.

 

 

Certains manifestants ont diffusé en direct sur les réseaux sociaux des vidéos montrant une foule déambulant à l’intérieur du palais, certains piquant même une tête dans la piscine présidentielle ou s’allongeant d’un air amusé dans les chambres à coucher de la résidence.

Les protestataires ont également investi les bureaux de la présidence, situés à proximité et devant lesquels des manifestants campent depuis trois mois.

Des responsables gouvernementaux ont dit ignorer les intentions de M. Rajapaksa après sa fuite. " Nous attendons des instructions ", a déclaré à l’AFP un haut fonctionnaire. " Nous ne savons toujours pas où il se trouve, mais nous savons qu’il est avec la marine du Sri Lanka et qu’il est en sécurité ".

Quelques manifestants se sont offerts une baignade dans la piscine du président. Tant qu’à faire!

La population saute des repas

Des chaînes de télévision privées ont montré un convoi de véhicules d’allure officielle à l’aéroport international de Colombo, mais aucune confirmation concernant un éventuel départ du pays de M. Rajapaksa n’a été fournie.

Des centaines de milliers de personnes avaient auparavant participé à des manifestations pour exiger la démission de M. Rajapaksa, jugé responsable de la crise sans précédent qui frappe le Sri Lanka et provoque une inflation galopante ainsi que de graves pénuries de carburant, d’électricité et d’aliments.

Les Nations unies estiment notamment qu’environ 80% de la population saute des repas pour faire face aux pénuries et à la flambée des prix.

Les forces de l’ordre ont tenté de disperser l’immense foule rassemblée dans le quartier administratif de la capitale. Le principal hôpital de Colombo a fait état de trois personnes blessées par balle et de 36 autres souffrant de difficultés respiratoires à cause des gaz lacrymogènes massivement employés.

Couvre-feu inefficace

Vendredi, les forces de l’ordre avaient imposé un couvre-feu pour tenter de décourager les protestataires de descendre dans la rue. Mais cette mesure a été levée après des menaces de poursuites contre le chef de la police formulées par des partis d’opposition, des militants des droits humains et le barreau du pays.

Le couvre-feu avait de toutes façons été largement ignoré par les manifestants, dont certains ont même forcé samedi les autorités ferroviaires à les conduire en train jusqu’à Colombo pour participer au rassemblement, ont indiqué des responsables à l’AFP.

" Le couvre-feu n’a pas eu d’effet dissuasif. Il a en fait encouragé davantage de personnes à descendre dans les rues en guise de défi ", a déclaré le responsable de la Défense. " Des passagers ont réquisitionné des trains pour rejoindre Colombo ".

Même si le pays a presque épuisé ses maigres réserves d’essence, les manifestants, soutenus par les principaux partis d’opposition, ont également loué des bus privés pour se rendre dans la capitale.

Selon les autorités, quelque 20.000 soldats et policiers avaient été dépêchés à Colombo pour protéger le président.

Covid et gabegie

L’ONU avait exhorté les autorités sri-lankaises et les manifestants à veiller à ce que les rassemblements de samedi se déroulent dans le calme.

En mai, neuf personnes avaient été tuées et plusieurs centaines blessés lors de troubles dans le pays.

Le Sri Lanka a fait défaut en avril sur sa dette extérieure de 51 milliards de dollars, et a entamé des négociations de sauvetage avec le Fonds monétaire international.

Cette crise, d’une ampleur sans précédent depuis l’indépendance du pays en 1948, est imputée à la pandémie de Covid-19 qui a privé cette île de 22 millions d’habitants des devises du secteur touristique et a été aggravée par une série de mauvaises décisions politiques, selon des économistes.

Avec AFP