Des nymphéas de Claude Monet dialoguant avec de grands tableaux abstraits de Joan Mitchell consacrent à Paris cette figure américaine de la peinture contemporaine, en écho à l’ultramodernité de l’icône impressionniste à la fin de sa vie.

Cette expérience à travers l’espace et le temps, où les œuvres des deux peintres finissent presque par se confondre, débute aujourd’hui à la Fondation Louis Vuitton.

Trente-cinq tableaux de Claude Monet (1840-1926), représentant son jardin et son célèbre étang aux nymphéas (nénuphars) de Giverny en Normandie (nord-ouest de la France), sont exposés " en écho " à 35 grandes toiles de Joan Mitchell, née juste un an avant la mort de Monet (1925-1992), " selon des jalons thématiques et formels ", explique Suzanne Pagé, commissaire générale de l’exposition et directrice artistique de la fondation Vuitton.

Aux bleus, verts, mauves des nymphéas tardifs de Monet, de plus en plus floutés par le peintre, atteint de cataracte, répondent quatre immenses toiles de Mitchell, " Quatuor II for Betsy Jolas " (1976), mélange de bleus, de verts, de blancs et de noirs appliqués à grands coups de brosse, de coulures, avec une touche de mauve.

Inspiré par la musique de cette amie compositrice, ce quatuor l’est aussi par le paysage saisi à " l’heure des bleus ", entre la nuit et le jour, que la peintre voyait depuis sa terrasse de Vétheuil, près de Giverny, où elle a habité à partir de 1968. Monet a lui aussi vécu trois ans à Vétheuil.

L’accrochage met particulièrement en valeur l’ensemble des toiles, dépourvues de cadres – celles de Monet en ont été débarrassées – sur des murs très blancs. Il vise à mettre en lumière " les correspondances et les consonances entre les œuvres ", ajoute la spécialiste de l’art contemporain.

Les deux artistes ont en commun l’approche de la peinture par le souvenir, parfois triste et mélancolique : après sa quête de " l’impression ", Monet évoque à la fin de sa vie celle de la " sensation " dans laquelle demeure le motif, tandis que Joan Mitchell fait appel au " feeling " pour définir la transcription d’une émotion ressentie devant la nature.

" Quand il s’agit de la persistance d’une sensation visuelle chez Monet, passant de son jardin à l’atelier, c’est plutôt chez Mitchell un jeu de mémoires croisées où elle repense à son enfance, au fleuve Hudson ou au lac Michigan ", détaille la commissaire.

Face au deuil après la perte d’êtres chers, Joan Mitchell parvient, par la peinture, à transmuter sa souffrance en hymne à la vie. " Un jardin pour Audrey ", peint à l’huile en hommage à une amie décédée brutalement et présenté dans l’exposition, en témoigne de manière éclatante.

Figure de l’expressionnisme abstrait américain, " Joan Mitchell connaissait l’œuvre de Monet, dont elle disait ne pas aimer les débuts. Très cultivée, elle adorait la poésie. Mince, athlétique, c’était aussi une ancienne championne de patinage artistique qui n’avait pas besoin d’assistant pour déplacer ses toiles ", raconte encore Mme Pagé, qui a rencontré l’artiste à plusieurs reprises.

Elle " peignait la nuit, fenêtres fermées, dans son atelier, entourée de ses chiens et en écoutant de la musique, de l’opéra. Lorsqu’elle s’est retrouvée seule après avoir été mariée à un poète, éditeur de Beckett, avoir vécu avec un peintre (Jean-Paul Riopelle) et pris ses distances avec la scène américaine pop art, elle a pu être complètement elle-même, déployant une peinture très colorée, très gestuelle, très émotionnelle et sensuelle ", souligne-t-elle.

Le parcours se clôt sur deux grands ensembles : l’Agapanthe de Monet (1915-1926), triptyque monumental qui a joué un rôle décisif dans la reconnaissance de l’artiste aux États-Unis, exposé pour la première fois dans son intégralité à Paris, et dix tableaux issus du cycle de " La Grande Vallée " (1983-1984) de la peintre américaine. En parallèle de l’exposition, la fondation consacre également une rétrospective à Joan Mitchell.

AFP