La fondation Corm a ouvert ses portes les 4, 5, 10, 11 et 12 mars 2023 pour l’inauguration de la bâtisse rénovée. Au programme, une visite guidée suivie d’un spectacle produit par Zahi Tabet et Myriam Watfa consistant en une très belle pièce de théâtre, Beyrouth hôtel de Remi de Vos, ainsi que la lecture de poèmes dans le cadre du centenaire de Gebran Khalil Gebran et de la date d’anniversaire de Charles Corm.

L’inauguration de la fondation s’inscrit donc comme un hommage à Charles Corm, homme illustre qui a marqué l’histoire du Liban par son apport industriel, commercial et culturel au patrimoine libanais et par sa promotion de la richesse culturelle libanaise à travers le monde.

Cette belle bâtisse blanche aux lignes élégantes et épurées abrite ainsi au premier étage l’une des plus importantes bibliothèques privées du Liban et du Moyen-Orient. Cette bibliothèque mythique est constituée d’une très belle collection de livres archivés et reconstitués, ayant appartenu à Charles Corm qui, en grand intellectuel, y tenait des réunions littéraires en compagnie d’hommes illustres tels que Saïd Akl, Michel Chiha et Joseph Gemayel.

Charles Corm, lui-même grand homme de lettres, a laissé une œuvre magistrale littéraire et poétique en langue française et dont le premier ouvrage intitulé La Montagne inspirée et publié en 1934, souligne la dimension sacrée de la terre libanaise.

Grâce aux multiples anecdotes et récits racontés avec humour et passion par notre charmante guide Liliane Bou Dagher, nous mesurons avec ébahissement l’ampleur de l’œuvre laissée par Charles Corm. Nous apprenons également que l’appellation Corm remonte à l’époque de l’émir Béchir II, quand le grand-père de Charles Corm, Semaan Hokayem, avait administré une gifle à l’un des fils de l’émir dont il était le percepteur. Face à l’obstination de Hokayem qui refusait de s’excuser  devant le tribunal, l’émir Béchir II l’avait alors traité de corm ("souche d’arbre"), excédé par son entêtement et sa force de caractère.

Lors de la visite, on se laisse surprendre aussi par une voiture Ford modèle 1920 qui semble veiller sur la bibliothèque au milieu des sculptures dont celle du buste de Gebran Khalil Gebran, ainsi que par divers tableaux et dessins, œuvres du peintre Daoud Corm, père de Charles Corm.

Nous apprenons alors que Charles Corm avait introduit la première voiture Ford au Liban en 1925, grâce à un contrat de représentation commerciale pour le Liban conclu à New York avec Henry Ford lui-même, et que la bâtisse de la fondation Corm avait été construite en 1927 selon les plans de Charles Corm pour y installer les bureaux de représentation commerciale ainsi que les ouvriers et employés des diverses branches.

Toujours à l’avant-garde du progrès, Charles Corm avait même créé toute une chaîne de montages et d’assemblages de pièces dans le jardin de la bâtisse avec le savoir-faire de techniciens qualifiés. Nous découvrons aussi dans les bureaux au milieu de  meubles art-déco achetés en 1925 au salon des arts décoratifs à Paris, un dictaphone, ainsi qu’une machine à manivelle, ancêtre de la photocopieuse d’aujourd’hui.

Charles Corm, soucieux de répondre aux besoins des Libanais avec plus d’innovation, avait même révolutionné les méthodes agricoles rudimentaires à la Bekaa en introduisant les premiers tracteurs de la marque International Harvester, avec des démonstrations à l’appui effectuées par des inspecteurs américains. Comble de l’ironie, ces tracteurs furent incendiés par les paysans qui les croyaient habités par les djinns.

Après avoir amassé une grande fortune, Charles Corm a quitté le commerce à l’âge de 40 ans, laissant ses bureaux à ses employés qualifiés et les finançant deux années durant, pour se consacrer lui-même à sa mission véritable, une mission littéraire et culturelle.

Ainsi, à l’exposition universelle de New York en 1939, il avait été le seul à construire à ses propres frais un pavillon libanais de trois étages pour faire connaître le Liban et promouvoir la richesse culturelle de son patrimoine. Avait figuré dans ce pavillon une série de têtes sculptées d’empereurs et de juristes romains dont l’origine phénicienne avait été certifiée grâce à une étude généalogique très poussée entreprise par des spécialistes et des chercheurs. Ces sculptures sont encore conservées aujourd’hui à la fondation Corm.

De même, à l’assemblée générale de l’Unesco en 1949, Charles Corm avait mis en avant avec son œuvre 6000 ans de génie pacifique au service de l’humanité, soit toute une argumentation sur l’apport de la civilisation phénicienne au patrimoine de l’humanité grâce à la transmission de l’alphabet ou à la création de nouvelles cités comme Carthage.

Voilà pourquoi aujourd’hui, et afin de perpétuer la mémoire de Charles Corm, le deuxième étage de la fondation est entièrement consacré à la recherche des traces phéniciennes longtemps occultées par les Grecs et les Romains avec la création du Phoenician Heritage Institute, doté de toute une équipe d’archéologues et de chercheurs. Cet institut ne s’adresse pas seulement à un public averti mais prévoit aussi des ateliers d’apprentissage à l’intention des jeunes Libanais pour les initier à leurs racines culturelles et à la richesse de leur patrimoine.

Telle était la mission de Charles Corm qui avait fait de sa dévotion à la patrie une vocation. Telle semble être aussi la mission de la fondation Corm: mettre en valeur le patrimoine libanais et transmettre aux  nouvelles générations le sens de l’appartenance à la patrie et la fierté de subsister à la race des grands bâtisseurs et des grands hommes. Et ce, pour les aider à redessiner les contours de leur identité libanaise, à revenir aux sources et à puiser force et confiance dans leurs racines, pour mieux déployer leurs ailes. S’ils sont forcés de quitter la patrie un jour, les pousser alors à garder dans le cœur et dans l’âme l’envie d’ y revenir pour y planter peut-être encore… de beaux arbres.

Il s’agit de garder en mémoire ces quelques vers de Charles Corm, ayant laissé des traces de sa poésie un peu partout sur son sillage:

Qu’ai-je fait de ma vie
Avant le grand naufrage
J’ai peiné, j’ai souri
J’ai planté de beaux arbres

 (Extrait de La Planète exaltée)

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