Angélique et scandaleuse. Elle dont la devise était "quand même" avait créé le concept de star et grimpé les échelons du succès jusqu’à cueillir les étoiles. "Monstre sacré", tel que l’a baptisée Cocteau, Sarah Bernhardt, la grande actrice, l’influenceuse avant l’heure, avait compris que le prix du succès résidait dans le fait de se dépouiller de sa propre personnalité pour endosser une autre. Ainsi déambulait-elle de rôle en rôle, dans le rêve d’une autre vie, en laissant tout derrière elle. Cela lui a valu la première appréciation du public qui la suivait de salle en salle, hypnotisé par son jeu. À chacune de ses représentations, le succès dépassait les prévisions, attiré par sa présence charismatique et sa voix ensorcelante. Aujourd’hui, cent ans après sa mort, elle qui est décédée le 26 mars 1923, un programme de commémorations intitulé "Sarah dans tous ses états" lui est consacré.

La voix résonnante de Sarah Bernhardt lui valut le surnom "Voix d’or", par Victor Hugo. Avec lui, elle aimait répéter. Lui, l’amoureux des mots, elle prêtait toute attention à son écoute. Colette, qui lui avait rendu visite peu avant son décès à 80 ans a été frappée par "ce souci irréductible de plaire, de plaire encore, de plaire jusqu’aux portes de la mort". Amie d’Edmond Rostand, elle éblouit Oscar Wilde, inspire Marcel Proust et fait la gloire du peintre Alfons Mucha, à qui elle demande de dessiner ses affiches. Elle défend Louise Michel, soutient Émile Zola lors de l’affaire Dreyfus, est contre la peine de mort. Amputée à plus de 70 ans de la jambe droite, elle continue à jouer, allongée ou assise, d’où son surnom de "Mère la Chaise".

   

"Première star planétaire"

Pierre-André Hélène, historien et premier collectionneur privé en France de ses effets personnels, explique: "Elle est la première star planétaire." En effet, Sarah Bernhardt a porté le théâtre français aux quatre coins du monde. Elle qui disait "le trac vient avec le talent" a tremblé dans les coulisses du monde entier. Elle a incarné le visage de la France à l’étranger depuis sa première tournée américaine et, portant haut l’étendard de son pays, elle a souvent été accueillie par La Marseillaise partout où elle allait, la tête haute, l’âme au bord de la scène.

Des fans, affirmant son statut de première star, se morfondaient en réactions impulsives, hystériques; les hommes jetaient leurs manteaux sous ses pieds, les séances de dédicaces sur manchettes duraient trois heures, les femmes voulaient l’effleurer…

"C’était le mythe mondial du théâtre", explique M. Hélène. "Que le public ne comprenne pas ce qu’elle disait à Londres ou aux États-Unis n’avait aucune importance… Elle avait une présence délirante et cette technique vocale, une mélopée très proche du lyrique."

De plus, Sarah Bernhardt transposait l’audience et l’emmenait dans une dimension transcendantale: "Les gens venaient pour la voir mourir", souligne l’historien. "Ses yeux se révulsaient jusqu’à ce qu’on ne voie que le blanc. Les gens étaient scotchés… Certains étaient convaincus qu’elle se sentait mal." Elle menaçait alors ses connaissances: "Si vous ne faites pas ce que je veux, j’arrête de mourir." Au fait, Sarah Bernhardt associait ses propos extravagants à ses gestes démesurés. Elle s’affichait partout, se posait et posait en star, défiait le regard de la caméra… C’est une femme qui a réclamé sa première place et qui l’a prise. Si bien qu’à Paris, on clamait venir voir deux choses : la tour Eiffel et Sarah Bernhardt.

M. Hélène affirme: "Son impresario Edward Jarrett, qui lui a organisé des voyages pharaoniques, avait un sens grandiose de la communication et avait compris que ses comportements insensés allaient la porter au sommet. Elle va créer son propre mythe." La plus célèbre des tragédiennes françaises aura en effet "porté la culture française au sommet du monde". Et selon l’historien, "elle mérite le Panthéon"!

Caprices de star?

Non seulement Sarah Bernhardt s’affichait en première place, mais elle se donnait le droit de mentir, dans la vie tout comme sur scène. Le mensonge l’aurait ainsi accompagnée dans les plus petits et les plus grands détails de sa vie quotidienne – à commencer par son âge –, jusqu’à faire de sa vie une mise en scène. Elle se mettait d’ailleurs elle-même en scène. Aussi avait-elle installé un cercueil dans sa maison et s’était-elle fait photographier dedans. Le cliché a fait le tour du monde. Maigre alors que les rondeurs caractérisaient les femmes, rousse alors que cette couleur feu était associée au diable, fascinée de reptiles et de fauves, éternelle séductrice et mère célibataire, à l’époque où non seulement les voisins, mais la société entière avait à redire. En s’évadant régulièrement en montgolfière au-dessus des Tuileries, où elle sabre le champagne et déguste du foie gras, elle fuyait, disait-elle "la mauvaise odeur de Paris"… 

Aujourd’hui encore, à la BNF site Richelieu, à l’entrée de la salle de recherche dédiée aux chercheurs en arts du spectacle, son portrait, peint en 1889 par Jules Masson, est affiché, sur fond doré comme celui des icônes et d’après une photo de 1864 prise par Felix Nadar, entouré d’un cadre orné de roses qu’elle a elle-même "sculptées". Deux de ses bustes en bronze sont exposés au Musée d’Orsay.

"Il faut haïr très peu, car c’est très fatiguant", disait-elle.

Marie-Christine Tayah avec AFP
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