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Chaque semaine, nous vous proposons d’explorer une citation marquante d’un grand psychanalyste, pour en révéler toute la profondeur et la richesse. Ces formules lapidaires, souvent provocantes, ouvrent des perspectives inédites sur les méandres de la psyché humaine. En décryptant ces citations avec rigueur et pédagogie, nous vous invitons à un voyage passionnant au cœur de la pensée psychanalytique, pour mieux comprendre nos désirs, nos angoisses et nos relations aux autres. Prêts à plonger dans les eaux profondes de l’inconscient ?

"La seule chose dont on puisse être coupable, c’est d’avoir cédé sur son désir"

La notion de désir, en psychanalyse, occupe une place centrale, notamment dans la théorie de Jacques Lacan.

Il ne faut pas la confondre avec le besoin : celui-ci est conscient et se satisfait concrètement, avec un objet réel ; il relève des nécessités vitales à l’être humain telles que manger, boire, dormir, etc. Alors que le désir, lui, est inconscient et ne se satisfait que dans nos fantasmes, comme dans les rêves, par exemple.

Nous l’avons déjà vu, il n’y a de désir qu’à partir d’un manque, celui de cet intense plaisir ressenti par le nourrisson dans sa première relation à sa mère, cette profonde satisfaction, réelle ou hallucinatoire, qui a laissé des traces indélébiles dans le psychisme inconscient adulte et dont celui-ci est désespérément à la recherche. Pour Freud, on ne peut désirer que ce que l’on a connu et…perdu, mais qui s’avère indestructible.

Par cette citation, Lacan nous propose une nouvelle éthique qui n’est pas basée sur les injonctions sociétales conventionnelles, mais sur la singularité subjective, sur son être même en tant que sujet désirant. Dans ce sens, ne pas céder sur son désir, c’est demeurer fidèle à ce qui émane du plus intime d’un sujet. L’inverse, c’est-à-dire céder sur son désir, c’est trahir son être véritable, c’est une forme de lâcheté existentielle qui engendre un sentiment de culpabilité dont on ignore, consciemment, la cause. Cette culpabilité est le signe que nous avons trahi notre désir, que nous avons cédé sur ce qui nous est le plus cher, dont la conséquence est l’aliénation à un surmoi imposé par la collectivité pour sa propre satisfaction égoïste. Il convient, ainsi, de s’interroger sur les idéaux socioculturels du "Bien", du "Beau", du "Correct", de l’"Hygiénique", de la "Santé physique ou mentale", etc., érigés en panacées que les montres et portables "intelligents" se font un devoir et un plaisir de rappeler à chaque instant à un corps et à un psychisme devenus objets consuméristes.

Pour illustrer cette éthique du désir, Lacan prend souvent l’exemple d’Antigone, fille d’Œdipe, héroïne de la tragédie de Sophocle. Antigone choisit d’enterrer son frère Polynice contre la loi de la cité édictée par son oncle Créon, restant ainsi fidèle à son désir jusqu’à en mourir. Elle incarne la position éthique de celui qui ne cède pas sur son désir, qui va jusqu’au bout de ce que lui dicte son être, même si cela le conduit à sa perte. Antigone devient ainsi une figure paradigmatique de l’éthique lacanienne, montrant que l’acte éthique par excellence est celui qui témoigne d’une fidélité absolue au désir.

Au plan de la clinique psychanalytique, divergeant en cela profondément des autres thérapies aux objectifs adaptatifs, la visée de la thérapeutique n’est pas d’éliminer les symptômes ou de normaliser le patient, mais de lui permettre d’assumer son désir, de confronter la vérité de son être. Cela peut conduire à des choix de vie radicaux, à des ruptures avec les attentes sociales ou familiales, mais c’est à ce prix que le sujet peut advenir dans sa singularité.

Sur un plan plus large, l’éthique lacanienne nous invite à repenser notre rapport à la loi, à la transgression et à la culpabilité. Elle nous montre que la conformité aveugle aux normes peut être une trahison de notre désir, et que l’acte éthique authentique est celui qui assume le risque de la singularité, quitte à côtoyer une certaine solitude. Elle nous rappelle que nous sommes fondamentalement des êtres de désir, et que c’est dans la fidélité à ce désir que réside notre vérité la plus intime.

Ce n’est pas à un hédonisme sans limite ou à une transgression gratuite que nous invite Lacan en affirmant que " la seule chose dont on puisse être coupable, c’est d’avoir cédé sur son désir ". Il nous rappelle plutôt que notre désir est ce que nous avons de plus précieux et de plus propre, et que l’enjeu éthique fondamental est de ne pas le trahir, de ne pas céder sur ce qui nous constitue en tant que sujets uniques. Cette pensée, aussi exigeante soit-elle, ouvre des perspectives nouvelles sur notre rapport à nous-mêmes et aux autres, et nous invite à une forme d’authenticité et de courage existentiel. Elle fait de la psychanalyse non seulement une pratique thérapeutique, mais aussi une éthique de vie, une boussole pour naviguer dans les méandres du désir et de la subjectivité.

Car, en définitive, le manque structurel du désir n’a rien d’un immobilisme. Il constitue, bien au contraire, une incitation à une (re)création de nous-même dans ce que nous avons de plus intime et, par conséquent, de plus nécessaire à notre existence.

Spinoza, dont Lacan s’est inspiré, conçoit le désir comme une force, une impulsion à agir, notamment parce qu’il est aux fondements de nos affects les plus fondamentaux. Sa célèbre formule est lumineuse : "Nous ne désirons pas une chose parce que nous la jugeons bonne, mais nous la jugeons bonne parce que nous la désirons".

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