Sorti en 1994, Mina Tannenbaum est un film franco-belgo-néerlandais réalisé par Martine Dugowson, avec avec Romane Bohringer, Elsa Zylberstein.

Synopsis

Deux filles naissent le 15 avril 1958 dans le même hôpital. Mina est myope et porte des lunettes dès l’âge de cinq ans. Ethel sera grosse jusqu’à la fin de son adolescence et sa mère lui interdit d’épouser un goy. Alors âgées de 10 ans, timides et complexées, les deux filles se rencontrent sur un banc à Montmartre. Elles deviennent amies. À 16 ans, elles sont toujours sur ce banc à parler de la vie, des gens et de l’amour. À 30 ans, elles n’en peuvent plus de se ressembler et de parler de leur vie…

L’avant-propos de Kliclo Monkowicki 

C’est au cours d’un de ces magnifiques dîners-rencontres qu’organisait Pascal Kané, qui aimait cuisiner autant qu’il aimait le cinéma et l’art, que nous avons fait la connaissance de Martine Dugowson. C’est aussi en sortant de cette soirée qui devait être la dernière pour nous – mais nous ne le savions pas (il décèdera quelques mois plus tard) – que j’ai proposé à Jean-Jacques Moscovitz de projeter Mina Tannenbaum au "Regard qui bat". Mina Tannenbaum! C’est ma fille de 20 ans qui, lorsqu’il sortit, m’avait dit: "Va voir ce film, on dirait qu’il a été tourné pour toi." Ce fut un choc! Mina Tannenbaum, c’est la destinée de deux gamines, nées le même jour et qui vivent les étapes de l’existence, main dans la main ou dos à dos, dans les rires et les larmes, les révoltes et les émois, la complicité et les disputes, nostalgiques et impatientes, soudées par moments ou séparées par les aléas de la vie. Comme tout le monde, en quelque sorte. Sauf… que l’une est ashkénaze, fille d’une mère dépressive, rescapée de la Shoah, qui pourfend sa fille de ses larmes, de son chagrin et de sa culpabilité; l’autre est Sépharade, fille d’une mère intrusive qui l’entrave de ses craintes infondées, ses plaintes et ses angoisses asphyxiantes. Toutes deux se débattent pour ne pas être détruites par ces mères anxiogènes. L’une a peur de vivre. L’autre de mourir. En ce temps-là, la France n’était pas prête à entendre son histoire. Réalisé bien avant le procès Papon (1997/98) et l’édification du Mémorial de la Shoah (2005), il soulève la chape du silence qui enveloppait encore l’existentiel juif. Faire appel à l’art pour évoquer ce passé douloureux et obsédant est aussi méritoire. Le remarquable choix de l’œuvre du peintre Zwy Milshtein, envahie par les fantômes, éclabousse l’écran par la violence de la couleur, de la trace et la profondeur de la matière. Mais face au poids de l’histoire qui écorche, le génie suffit-il à vivre? Film culte car à la marge; quasi-confidentiel. Et même si le monde a changé, Mina Tannenbaum continue de porter, comme une onde de choc, cette nostalgie qui accompagne les instants inoubliables de la vie.

L’avant-propos de Lysiane Lamantowicz

1994, un film sur ma jeunesse. Deux amies nées un mois avant moi. Mon enfance, mon adolescence de fille juive dans les années 75/80, insouciance et perplexité. Je regardais ce film avec mes filles dans les années 2000, 25 ans après; tout était différent et pourtant il était encore possible de s’y reconnaître pour elles. Travail de la mémoire, images fugitives, fragments du passé. À l’époque, on croyait encore à une certaine intemporalité du désir féminin et humain en général avec ses zones obscures, ses souffrances, ses plaisirs ou les deux liées. Il n’était pas question d’éradiquer le patriarcat, de reprogrammer le désir féminin conditionné par les stéréotypes de genre ou de réinventer le genre. On bricolait comme on pouvait, tiraillées entre le désir de s’émanciper et celui de plaire, ça coïncidait un peu, ça boitait beaucoup. Tout n’était pas le résultat de la performativité. On croyait encore possible d’articuler biologique et psychique dans une dialectique subtile à explorer. On était pour la libération de la femme, les mêmes droits et l’absence de discrimination au travail. Le souci d’éradiquer complètement la violence patriarcale, idéologie totalitaire qui exerce en retour une violence radicale, n’existait pas. Bref mes filles et moi regardions ce film qui parlait de cette période à la fois radicalement excitante et radicalement douloureuse: l’adolescence… De l’amitié qui est toujours un mélange d’amour, de sublimation et de rivalité. Du paradis perdu de l’enfance. De la difficulté à devenir adulte, du renoncement aux idéaux, des amitiés qui se brisent comme se brisent les histoires d’amour alors que l’amour dure toujours. Est-ce que tout ça est pure construction culturelle? Étions-nous juste victimes des stéréotypes de genre, d’un conditionnement performatif, ou y a-t-il des invariants structurels au-delà de la culture désir masculin/désir féminin que chaque époque formule avec ses signifiants spécifiques: "penispied", Nom-du-père, régime de domination patriarcal? Mais qu’on peut à chaque époque, entendre de notre place, avec notre écoute sans être enfermés dans des stéréotypes. Ce film en est la trace, la preuve, car il est à la fois inscrit dans son contexte historique, ses modalités de dire, et intemporel, car nous nous y reconnaissons tous en tant qu’êtres désirants.