C’est une femme qui parle, une femme auteure de son métier. Dans une séance d’analyse, elle tente de saisir ce qui émane de l’homme qu’elle aime.

"Depuis le premier instant existe entre lui et moi quelque chose que je n’aurais pu définir alors, sauf à dire que c’était là, simplement. Cela vient de son visage… Il me donne le sentiment que je connais ce visage depuis toujours et n’ai cessé de le chercher dans le monde. Je le reconnais à cette ligne que j’aperçois le long de son profil, quand il dort auprès de moi, ou se penche sur moi: une pente à la fois douce et abrupte qui part d’une ride sublime au coin des yeux et rejoint l’angle de son sourire. Je reconnais ce visage à la veine qui parcourt son front sous l’effet d’un ressenti intense, ou au froncement entre ses sourcils quand son regard s’approfondit. Je reconnais ce visage dans l’émotion qui me bouleverse lors des moments intimes où il n’est que pour moi, dans la sensation d’infini qu’il me procure, dans le désir toujours renaissant qu’il génère quand je le contemple.

Saviez-vous que l’on peut faire l’amour avec un visage ?

Parfois, quand un ressentiment crée une distance entre nous, ou que la vie, momentanément, nous détourne de l’amour, le visage disparaît, comme derrière des nuages. Je sais déjà, alors, que sa réapparition se produira bientôt, et ramènera toujours le charme puissant qu’il dégage. Je peux inventer des mots, d’autres mots toujours et encore, mais la chose elle-même reste pour part indicible, et sans doute est-ce pour cela que je ne me lasse pas de chercher à la lui dire. Je sais désormais que je porte au plus profond de moi comme une empreinte originelle dont j’ignore d’où elle vient, mais du fait que cet homme coïncide avec elle, il est devenu pour moi le visage même du Masculin."

Pour donner toute sa portée à la parole de cette femme – parole témoignant de la merveille voire du sortilège d’une rencontre réussie – revenons à Freud et à la raison fondamentale qui entrave la rencontre entre un homme et une femme. Il s’agit, nous dit Freud, de l’angoisse de castration, qui se décline de façon distincte côté homme et côté femme. Côté femme, confrontée d’emblée à l’insupportable de la castration (la petite fille, constatant la différence anatomique des sexes, se vit dans l’inconscient comme châtrée), subsistera une envie irréductible de l’organe mâle. Côté homme, demeurera toujours la crainte d’être châtré (formée dans l’inconscient du petit garçon) qui provoque en retour une "protestation virile". La rencontre entre les sexes se heurte alors à l’opposition de ces deux revendications. Dans la logique freudienne, le travail analytique devrait permettre à une femme de renoncer à la possession du phallus, et à un homme d’entendre qu’une position apparemment "passive" ou une position de don n’ont pas forcément la signification d’une castration.

Lacan, après Freud, a déplacé la problématique en formulant que la dissymétrie des sexes renvoie à la séparation des deux modes de jouissance. Un homme prend sa jouissance, même avec une femme, de son propre phallus (jouissance dite " phallique "), tandis qu’une femme veut jouir du corps de son partenaire. Parfois, pour reprendre en substance une expression de Freud, la femme n’agrée l’homme que comme appendice de l’organe mâle, ce que met crûment en scène le film japonais L’empire des sens, lorsque l’héroïne tranche le sexe de son amant. Pour que soit dépassée la butée radicale de deux solitudes et qu’une rencontre heureuse ait lieu entre les amants, il faut que la jouissance du corps de l’Autre puisse advenir là où régnait, unique, la jouissance phallique. Cela n’est possible, explique Lacan, que si le phallus perd sa seule valeur d’usage et accède à sa valeur d’échange. Or l’échange implique toujours la mise en jeu, réciproque, de ce que la philosophie grecque puis la psychanalyse appellent "l’agalma": ce trésor le plus intime, le plus singulier et le plus mystérieux, que l’autre saura trouver au cœur de mon être.

Pour cette femme auteure, c’est le visage de "son" homme qui exhale le mystère, visage-objet certes, au sens de l’objet précieux, auréolé, célébré (l’agalma), mais aussi visage-miroir de l’âme, et signe du sujet, là où respire l’amour.

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