Après une saison 2020 entravée, le Festival al-Bustan a donné, mercredi soir, le coup d’envoi de sa 28e saison musicale, intitulée " Reconnect ", par un concert donné par la soprano libano-canadienne Joyce el-Khoury.

L’auditorium Émile Boustani était comble en ce mercredi soir, pour la soirée d’ouverture de la 28e saison du Festival al-Bustan, un événement culturel qui s’est imposé, au fil des années, comme un point d’ancrage incontournable dans le paysage musical libanais. La soprano libano-canadienne Joyce el-Khoury, avec la complicité du pianiste et directeur artistique du Festival al-Bustan, Gianluca Marcianò, a galvanisé le public libanais, toujours aussi fervent et avide, par ses interprétations incandescentes d’une finesse expressive. Entre Giuseppe Verdi, Giacomo Puccini, ou encore Wadih Sabra et Najib Hankach, le répertoire de la soirée magnifie aussi bien la puissance des contrastes que les épanchements lyriques et la nostalgie patriotique.

Pureté adamantine

Tout au long du concert, la maîtrise technique de Joyce el-Khoury s’est avérée totale dans l’interprétation du vérisme italien. Le funambule de sa voix opulente, parfaitement timbrée sur toute l’étendue de la tessiture, émerveilla le public tant par la pureté adamantine de ses aigus que par ses sonorités luxuriantes, finement tissées, rappelant à plusieurs reprises le timbre onctueux de la soprano allemande Elisabeth Schwarzkopf. Avec Gianluca Marcianò, la soprano libanaise concocta des élégances harmoniques où la beauté du legato soyeux s’allie à la puissance de projection et la maîtrise d’un souffle inépuisable, notamment dans la première partie du concert, consacrée à quatre arias de Verdi: Tu che le vanità (de l’opéra Don Carlo, 1867), Timor di me (de l’opéra Il Trovatore, 1853), Morrò, ma prima in grazia (de l’opéra Un ballo in maschera, 1859) et un aria de l’opéra Il corsaro (1848). On en retiendra particulièrement les captivants sauts de tessiture dans Tu che le vanità, la subtilité des nuances fugitives dans Timor di me, et le lyrisme exacerbé, accentué par un pianissimo éthéré dans Morrò, ma prima in grazia.

Pianissimi criants

Après avoir glorifié le génie verdien, place à la douceur enjôleuse de cinq arias de Puccini: Donde lieta uscì (de l’opéra La Bohème, 1896), In Quelle Trine Morbide (de l’opéra Manon Lescaut, 1893), Vissi d’arte (de l’opéra Tosca, 1900), Un bel dì, vedremo (de l’opéra Madama Butterfly, 1904) et O mio babbino caro (de l’opéra Gianni Schicchi, 1918). Joyce el-Khoury fit preuve d’une agilité, voire même d’une ambivalence vocale, capable de vagabonder avec aisance entre les nuances extrêmes. Les pianissimi criants, les vibratos bien dosés, la pertinence du récitatif, et la perfection des aigus les plus ardus de la chanteuse libanaise, notamment dans l’interprétation exemplaire de Donde lieta uscì et le célèbre O mio babbino caro, furent aussitôt récompensés par un tonnerre d’applaudissements et d’ovations, dénotant le ravissement de taille de l’audience.

Une surprise " à la libanaise "

Le concert était, toutefois, loin d’être fini: Marcianò, qui avait merveilleusement accompagné la soprano au piano, tout en délectant le public de ses intermezzi haut de gamme, se leva pour annoncer une surprise… à la libanaise. Il demanda ainsi au baryton libanais Fady Jeanbart de les rejoindre sur scène pour l’interprétation d’une œuvre, tombée aux oubliettes, du compositeur de l’Hymne national libanais, Wadih Sabra: le duo de séparation entre David et Jonathas, extrait de l’opéra Les deux rois (1928). Une ressuscitation musicale d’une appréciable sobriété, et d’une remarquable homogénéité, interprétée dans un strict respect de la partition. " On l’a chanté ainsi pour rendre hommage à l’histoire, confie Fady Jeanbart. En effet, cette pièce fut dernièrement chantée dans cette configuration, c’est-à-dire par une soprano et un baryton, et devant le compositeur lui-même, le 16 avril 1950, à l’occasion du jubilé de ce dernier, à l’Assembly Hall de l’AUB. " Et de poursuivre: " C’est Badia Sabra Haddad, la fille adoptive de Wadih Sabra, qui a interprété le rôle de David, et Geoffredo Babini le rôle de Jonathas. "

Le concert fut clôturé par l’une des chansons les plus connues du répertoire de Fairouz: Aatini al-nay wa ghani, composée par Najib Hankach sur un poème de Gibran Khalil Gibran. Une interprétation qui ne manqua pas d’émouvoir un public égaré dans la nostalgie du Liban d’antan.