" Si je pouvais peindre la fleur exactement telle que je la vois, personne ne verrait ce que je vois parce que je la peindrai petite, aussi petite que la fleur est petite. "

Entre les années 1920 et 1950, Georgia O’Keeffe a peint plus de deux cents fleurs. Certains y ont vu des représentations de sexes féminins ; l’artiste a toujours réfuté cette interprétation freudienne.

De son propre point de vue, elle peint la nature comme si elle zoomait avec un appareil photo. Elle tenterait de vouloir faire l’expérience de la beauté des choses, comme si elle avait les yeux d’une abeille ou d’un colibri.

Les pavots, les iris, les arums sont omniprésents dans l’œuvre de Georgia O’Keeffe. Alors que certains verraient la représentation du sexe féminin, si ce sont de fleurs dont la corolle est ouverte, d’autres imagineraient le sexe masculin, si l’épi est dressé, comme dans la famille des arums.

On penserait alors que ce seraient des symboles, puisque les organes sexuels sont apparents dans les plantes.

Au-delà de la vision première d’une fleur, le symbole humain en est dépeint à travers ces œuvres. Que ce soit celui de la sexualité, ou du désir, ou de la féminité.

Et pourtant, Georgia O’Keeffe a toujours nié cette interprétation. Elle écrit : " Jai fait en sorte que vous preniez le temps de regarder ce que jai vu et quand vous avez pris le temps de remarquer ma fleur, vous avez projeté sur elle toutes vos associations personnelles, et vous écrivez sur ma fleur comme si je pensais et voyais ce que vous pensez et voyez de la fleur – et ce nest pas le cas. "

Les fleurs de Georgia O’Keeffe ne ressemblent en rien à celles que nous sommes habitués à voir en peinture, comme celles des natures mortes ou des champs botaniques traditionnels. Il n’y a pas de bouquets ou de vases, elles ne sont pas étalées sur une table ou dans un paysage de la nature. Elles ne sont jamais mises à distance.

Les fleurs de O’Keeffe sont mises en avant-plan, en gros plans, souvent sans tiges ou sans feuilles. Elles sont immenses, elles occupent toute la surface de la toile. D’où l’étrangeté de cette peinture. On dirait que ce sont des portraits de fleurs.

L’expérience de la fleur devient centre du monde. Elle détient une tonalité et une intensité incomparables avec les autres objets.

Les fleurs ne sont plus des éléments de décor ou des motifs, depuis que l’œil et la main de Georgia O’Keeffe les peignent comme l’abeille les voit. Elles sont brillances incontournables et elles font le monde à elles seules.

" Je peins parce que la couleur est signifiante ", écrit l’artiste face à la peinture d’une fleur rouge, vue à la portée de l’œil d’un colibri.

Les fleurs de Georgia O’Keeffe ne sont donc pas " juste des fleurs ". Non seulement parce qu’il s’agirait de sexes féminins, mais parce qu’elles sont peintes d’un point de vue à travers lequel une fleur n’est jamais seulement une fleur. Elle pourrait l’être pour les humains, c’est-à-dire un élément sans importance.

Cependant, pour les abeilles, les papillons ou les colibris, une fleur c’est la source du pollen. C’est le centre chaud dont on ne peut se détourner, on revient sans cesse vers cet endroit qui comble.

C’est alors à travers cette perspective, comme depuis l’œil de l’artiste, que la fleur revêt un tout autre attrait. La fleur est la vie. Et la peinture devient elle-même source de vie.

L’expérience de la beauté a ainsi une autre approche. Elle se transmet comme le pollen que la guêpe ou l’abeille vient butiner dans le cœur d’une fleur. Elle devient sentiment, survie, ou même désir. La fleur prend une intensité dans la signification de sa valeur, elle a une tonalité affective et distincte.

La beauté d’une fleur, telle que la peint Georgia O’Keeffe, est un mystère en soi, un lien indéfectible entre la flore et la faune. Une nature humaine qui se reflète à travers la délicatesse de quelques pétales en gros plans.

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