Pour une fois, on va laisser tomber les grandes théories et revenir sur le terrain, la meilleure école d’économie, en commençant par une question: quel est le sujet de conversation qui revient le plus souvent dans les ménages et entre voisins? C’est bien sûr le niveau des prix des denrées alimentaires et autres produits: "Le mois passé, la barquette de lait était à 40 000 LL, maintenant elle est à 60 000". Le ministère de l’Économie (ou de l’Agriculture, de l’Industrie…) est alors appelé à intervenir pour mettre fin à cette pagaille, là où, dit-on, "chaque commerçant fixe ses prix à sa guise".

Le ministre gonfle alors ses muscles, fronce ses sourcils, et promet tout ce que vous voulez. Puis il envoie des squads d’inspecteurs dresser des procès-verbaux dans des raids burlesques – des PV que personne ne paiera. Peut-on donc imaginer d’autres pistes plus efficaces et moins ridicules? En voilà quelques-unes.

Mais d’abord une constatation: a-t-on déjà assisté en France à un raid d’inspecteurs dans un supermarché parce qu’il vend la boîte de thon plus chère que son voisin, ou parce qu’il n’a pas modifié son prix alors que l’euro a décroché par rapport au dollar? Chez nous, on oublie l’essentiel (ou alors on ne le connait pas du tout). La règle d’or a pour nom la concurrence. C’est la concurrence saine qui est le moyen le plus efficace pour faire pression sur les prix. Le b.a.-ba de l’économie du marché.

Or plusieurs lois sur la concurrence existent déjà, qu’on n’applique pas, mais auxquelles on veut ajouter une énième, en discussion depuis des années au Parlement. Comment favoriser la concurrence? D’abord par la transparence des informations disponibles aux consommateurs. Voici quelques idées pratiques:

– Dans les points de vente, afficher en plus du prix du produit son prix en kilogramme pour pouvoir comparer des produits similaires mais de différents poids; mettre en exergue un produit qu’on labellise ‘premier prix’, c’est-à-dire le moins cher dans sa catégorie, ce qui va enclencher une guerre de prix parmi les fournisseurs pour obtenir ce label, source de vente massive; mener une enquête périodique auprès des principaux points de vente en relevant les prix d’un panier de, disons, 40 produits standards, et annoncer à chaque fois ‘le supermarché le moins cher’, ce qui va enclencher aussi une compétition acharnée.

Entre parenthèses, une petite illustration de l’effet de la concurrence, pour la route. Des leaders du marché dans leur domaine, tels que Nescafé, Picon ou Danish, ont été distancés par de nouvelles alternatives moins chères… jusqu’à ce qu’ils réagissent et réduisent l’écart avec les nouveaux compétiteurs, à un niveau acceptable pour leurs fidèles consommateurs.

– Obliger de nouveau les restaurants à afficher leurs prix à l’extérieur, une règle qu’ils ont négligée, prétextant la fluctuation du taux de change. De plus, les contraindre à préciser s’ils acceptent d’être payés par carte bancaire (entièrement ou en partie), ce qui est devenu un autre argument de vente. Cela est à même de favoriser la concurrence et d’éviter la désagréable surprise d’avoir été plumé au moment de l’addition.

– De même, contraindre les autres commerces à afficher clairement leurs prix: habillement, équipement… et là aussi en indiquant s’ils acceptent d’être payés par carte bancaire.

– Ouvrir la concurrence dans le domaine des générateurs privés, qui jouissent maintenant de monopoles par quartier, engraissant au passage les hauts responsables. Puis favoriser les grandes installations, à l’instar de Zahlé, qui ont un coût de production plus favorable.

– Éliminer cette pratique de fixer les prix des carburants, ou encore des médicaments, et ouvrir la concurrence entre les fournisseurs et entre les détaillants.

– Exempter les bus importés de toute taxe pour favoriser leur utilisation à la place des taxi-services qui ne peuvent pas se permettre de pratiquer des tarifs modérés, en attendant une vraie politique de transport public qu’on n’arrive pas à mettre en place – on dirait que ça tient de la physique nucléaire.

– Agir sur les coûts de production de quelques produits essentiels. Par exemple, pourquoi les poulets congelés importés d’aussi loin que l’Amérique du Sud reviennent moins chers que ceux produits localement, comme s’en plaint le syndicat des aviculteurs?

D’autres domaines sont aussi à explorer, qu’on aura l’occasion de traiter plus tard. Devant de telles évidences, certains disent que les responsables s’en fichent, n’ayant aucun intérêt à servir leurs contribuables. Peut-être, mais il y a aussi une autre explication: ils préfèrent rendre la vie dure au peuple, lequel sera alors complètement obnubilé par les soucis de la vie quotidienne, oubliant les vrais responsables de son malheur, une astuce vieille comme le monde.

[email protected]