La loi sur la concurrence a été publiée dans le Journal officiel du 17 mars, une étape jugée importante, susceptible, dit-on, de rendre plus équitable le cadre légal des affaires commerciales dans le pays.

Ceci dit, encore une fois, nos ‘législateurs’ ont fait montre d’une bonne dose d’aveuglement.

La loi comprend bien de mesures standards en la matière: liberté d’importation; fin de la protection des agences exclusives; interdiction de position dominante qui fausse la concurrence; interdiction d’entente entre fournisseurs, de monopole ou d’oligopole, de dumping, de traitement différencié des détaillants, etc.

Jusque-là, cela paraît idéal, presque trop beau pour être vrai. Mais, à part la fin de la légendaire protection des agences exclusives, le Parlement a encore une fois sorti un texte largement inapplicable et truffé de pièges.

Un premier exemple concerne la définition de ‘position dominante’. Selon le texte, elle est avérée si une seule société détient plus de 35% du marché, trois sociétés 45%, et cinq sociétés 55%. Or aucune administration ne sera capable de calculer ces parts de marché de façon continue, ni même épisodique. Au cours des 30 dernières années, une seule étude de ce genre a été menée, en 2004, par le Consultation and Research Institute, financée par le PNUD. L’étude a réparti les produits en 300 marchés/secteurs! Il en ressortait que dans 108 secteurs, une seule entreprise représentait 40% du chiffre d’affaires du secteur concerné, et dans 174 secteurs trois entreprises représentaient ensemble 40% du marché concerné.

On note bien une concentration en faveur d’une minorité… quoique! En réalité, le Liban est un petit marché et il est facile d’arriver à de tels pourcentages. Ensuite, concernant le résultat escompté de la fin de la protection des agences exclusives, il n’est pas sûr qu’il serait avantageux pour le consommateur d’avoir un nombre élevé de fournisseurs, car ceux-ci ne pourront pas bénéficier d’une économie d’échelle pour leurs coûts d’exploitation, et le produit final risque d’être plus cher pour le consommateur.

Un deuxième exemple concerne la création, selon la loi, d’une autorité nationale de la concurrence, et de comités sectoriels pour étudier en permanence tous les marchés, soit une lourdeur administrative qui est créée pour servir de cadre légal au clientélisme, selon les précédents en la matière.

Un troisième exemple se présente sous la forme d’une obligation pour les nouveaux intervenants d’offrir un bon service après-vente, une mesure qu’il serait très difficile de prouver, ouvrant encore une fois la voie à des chantages lucratifs.

Un quatrième exemple se situe au niveau de la contrebande, occultée par le texte, encore une preuve de déni car il s’agit là de la principale entrave à une concurrence saine. Si les ports échappent au contrôle de l’État déjà maintenant, on ne voit pas comment on pourra régler avec la nouvelle loi cette pratique chapeautée par le Hezbollah. Au contraire, elle a l’air de prospérer à la faveur des pénuries artificiellement créées au cours des deux dernières années.

Entre-temps, l’État garde bien dans son giron des monopoles qui excluent la concurrence dans bien de domaines: électricité, eau, télécoms, compagnie aérienne, tabac, etc. Ou encore des fixations artificielles de prix et de subventions lucratives dans d’autres domaines. Autant de chasses gardées pour satisfaire les zones d’influence des uns et des autres.

Bref, les autorités au Liban ont ceci de biscornu qu’ils font souvent des lois juste pour avoir le plaisir de les contourner à leur guise.