Entre le photojournaliste franco-syrien Ammar Abd Rabbo et l’homme d’affaires libanais Omar Harfouch, un vieux contentieux juridique refait surface. Une audience dans le cadre d’un procès en diffamation, intenté par M. Abd-Rabbo contre le candidat malheureux aux législatives libanaises de mai 2022, s’est tenue mardi devant la 17e chambre du tribunal de Paris (chambre de la Presse). Le verdict sera rendu fin novembre.

Pour comprendre l’affaire, un retour en arrière s’impose. Le contentieux entre MM. Abd Rabbo et Harfouch a commencé en 2003, à la faveur d’une mission d’un groupe de six journalistes – dont Ammar Abd Rabbo – en Libye, où ces derniers devaient couvrir le parcours de Tecca Zendik, une Américaine qui avait participé au concours de Miss Networld, organisé à l’époque par M. Harfouch dans ce pays. Arrivés à l’aéroport de Tripoli, les six journalistes ont été arrêtés à la suite d’un incident avec la journaliste Daphné Barak, qui, ayant la double nationalité américaine et israélienne, avait présenté son passeport israélien, après avoir eu des assurances de Omar Harfouch que cela ne poserait pas de problème. Daphné Barak, qui est la cousine d’Ehud Barak, ancien Premier ministre d’Israël, a été expulsée du pays, alors que les autres journalistes ont été retenus quelques jours en Libye. Leurs passeports leur avaient été confisqués et ne leur avaient été rendus que lorsque toute trace de l’arrivée à Tripoli de Daphné Barak, photographiée et filmée à l’aéroport, avait été effacée.

Omar Harfouch a été violemment critiqué à l’époque pour sa responsabilité dans cet épisode, notamment par Ammar Abd Rabbo qui lui a reproché d’être proche du dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi. La querelle entre les deux hommes devait s’envenimer au point que M. Harfouch a accusé le journaliste d’avoir essayé de lui extorquer de l’argent.

En octobre 2006, le sulfureux homme d’affaires libanais a publié aux éditions Petiot son autobiographie intitulée "Mystères, scandales et… fortune ", dans laquelle il a évoqué cette affaire et tenu des propos diffamatoires contre M. Abd Rabbo. M. Harfouch y accusait nommément ce dernier d’avoir menacé de le faire passer aux yeux des services secrets syriens et du Hezbollah pour un agent des services secrets israéliens, afin de lui extorquer des fonds, et d’avoir "en partie" mis à exécution sa menace par la publication dans la presse syrienne d’un article à son sujet.

Ammar Abd Rabbo a réagi en lui intentant un procès en diffamation. Saisie par le journaliste, la 17e chambre du tribunal de Paris (chambre de la presse) a jugé M. Harfouch et son éditeur M. Pascal Petiot coupables de diffamation publique et les a condamnés au paiement d’une amende de 1.000 euros avec sursis. Le tribunal les a en outre solidairement condamnés à verser à M. Abd Rabbo 4.000 euros à titre de dommages et intérêts et 2.500 euros au titre de l’article 475-1 du Code français de procédure pénale, selon lequel "le tribunal condamne l’auteur de l’infraction à payer à la partie civile la somme qu’il détermine, au titre des frais non payés par l’État et exposés par celle-ci". Une condamnation qu’a confirmée, en 2008, la cour d’appel de Paris. Elle y a ajouté une nouvelle condamnation de 2.000 euros en application également de l’article 475-1 du Code de procédure pénale.

L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais des années plus tard, en 2020, l’homme d’affaires libanais a de nouveau attaqué Ammar Abd Rabbo. Au mois de février, M. Harfouch a ainsi publié sur les réseaux sociaux des propos diffamatoires à l’égard du journaliste qu’il accuse d’être le photographe officiel du président syrien, Bachar el-Assad, et d’avoir exercé sur lui un chantage pour lui extorquer la somme de 25.000 euros. Ammar Abd Rabbo a contre-attaqué en lui intentant un nouveau procès, mais l’audience qui était prévue dans le cadre de cette affaire n’a pas eu lieu en raison d’un "vice de forme". Celui-ci se rapporte à une mauvaise traduction des propos diffamatoires, ainsi qu’à une mauvaise mise en page de la documentation des supports électroniques sur lesquels M. Harfouch avait attaqué verbalement le journaliste. À cause de ces erreurs, M. Abd Rabbo a préféré se désister de son action en justice pour respecter l’esprit des tribunaux de presse qui demandent à ce que les citations soient parfaitement claires et n’appelant aucune erreur, même minime. Quelques semaines plus tard, l’homme d’affaires libanais est revenu à la charge sur ses comptes Facebook et Twitter pour annoncer "la défaite judiciaire" du journaliste, en omettant toute référence au vice de procédure. Présenté par son détracteur comme un "maître chanteur" ou le "photographe officiel du régime syrien, renié par sa propre famille", Ammar Abd Rabbo a alors intenté une nouvelle action judiciaire, en juillet 2022, contre celui qui était venu au Liban en 2017 comme conseiller politique de Marine Le Pen, et dont les attaches avec des personnalités d’extrême droite, comme le député européen (et défenseur du régime Assad) Thierry Mariani, sont affichées et assumées. Mardi, la justice française a pris connaissance des arguments des avocats des deux hommes. Les magistrats vont délibérer avant de rendre leur jugement fin novembre.