Dans ces temps où le pays nous échappe chaque jour un peu plus, comme une urgence de retourner vers nos fondamentaux, de retrouver nos nécessaires, de se reconnecter avec nos monuments, vestiges, richesses, fiertés nationales, en deux mots récupérer notre territoire.

Et pendant ce temps… les oliviers n’attendent pas. Il suffit de tendre la main. Partout au Liban, c’est l’heure de la récolte. Généreux est l’arbre, gorgés sont ses fruits, précieuse sera son huile. S’il est vrai que le cèdre est l’emblème du Liban, l’olivier est indissociable de notre pays. Le Liban a été le principal exportateur des produits de l’olivier depuis des millénaires. Des jarres en argile utilisées pour stocker l’huile d’olive et des lampes datant de l’âge de bronze ont été trouvées dans les sites anciens de Saïda. D’ailleurs le nom ancien de la ville, Sidon, ne viendrait-il pas, selon des historiens, du mot Zeitoun?

L’olivier et le Liban semblent liés depuis des siècles et cet arbre aurait habité le pays depuis toujours comme en témoignent douze spécimens vieux d’environ 6.000 ans dans le village de Bchehlé à 1.200 mètres d’altitude. Certains disent même que la colombe a rapporté à Noé un des rameaux de ces oliviers-là. Ils sont tellement grands que l’un d’entre eux, baptisé Magnus, aurait servi régulièrement d’étable pour plus de 40 chèvres qui venaient se blottir dans son tronc creux.

Plus bas, les oliviers millénaires de Jeïta aux troncs entrelacés s’étendent sur plus de 3.500 m2 et les regarder suffit pour comprendre toute la majesté de cet arbre offrande. Et dans le village de Chaqra au Sud, un olivier vieux de 2.700 ans est auréolé de la légende qui dit que le Christ se serait assis sous son ombre. À Marjeyoun et à Chhim, des vestiges de pressoirs datant de l’époque romano-byzantine se laissent admirer et prouvent, s’il fallait encore le faire, l’ancienneté de cette tradition.

Sous les princes druzes du Mont-Liban, l’olivier a connu une très grande expansion aux côtés du mûrier, de la vigne et du figuier qui représentent pour le paysan libanais des arbres sacrés.

Douze millions d’oliviers sont cultivés aujourd’hui au Liban et plus de 100.000 familles tirent leurs revenus de la culture d’olives. Il existerait sur le territoire plus de 400 pressoirs traditionnels. Au Liban, il y a deux principales variétés d’olives: souri (en hommage à la ville de Sour) et aїrouni.

Actuellement l’olivier est un vrai pilier de l’agriculture dans le sud du pays et la région du Koura dans le nord entre Batroun et Tripoli, où il prend ses aises dans un climat qui lui est très favorable, pas très loin de la mer. Avec ses arbres centenaires à perte de vue, Koura offre un paysage merveilleux mais aussi une huile incomparable. Dans les années 1960, en novembre, la région était en fête pour célébrer le Festival de l’olivier. Un corso fleuri composé de dizaines de voitures défilait alors que les jarres d’huile d’olive, les olives vertes et noires et la mélasse se dégustaient et se comparaient dans la liesse.

À Hasbaya, point de départ du Mont Hermon, la culture de l’olivier est empreinte de dévotion et surtout d’efforts continus pour assurer une huile qui aurait sa place sur les meilleures tables du monde. Et la vallée de Wadi el-Taym avec ses oliviers à perte de vue est un vrai enchantement. Le Akkar à lui seul produit plus de 30.000 tonnes d’olives alors qu’à Baakline, les oliviers se cultivent en terrasses, répondant ainsi aux exigences des montagnes escarpées.

Aussi vieux que le monde, l’olivier se confond avec l’histoire du bassin méditerranéen où il habite. Avec la vigne et le blé, il a toujours fait partie du paysage. On appelle d’ailleurs la mer Méditerranée, "la mer des olives". Sous sa forme sauvage, l’arbre existerait depuis la préhistoire. L’olivier serait né en Asie mineure et, à partir du XVIᵉ siècle av. J.-C., devant la valeur inestimable de cet arbre qui produit sans labour et sans élagage, les Phéniciens l’implantent dans leurs colonies. De Tyr et de Sidon, ils auraient apporté l’olivier dans les pays d’Afrique du Nord puis en Espagne, en Grèce et en Sicile. Le Olea europaea, l’olivier que nous connaissons aujourd’hui, devient alors le plus vieil arbre cultivé au monde. Grande source de richesse, il s’est rapidement imposé en Méditerranée avec la vigne, le figuier et le murier. Sur les marchés de l’Antiquité se vendait à prix fort le précieux liquide issu de l’arbre: l’huile.

À l’Âge du bronze – période cananéenne (3500 – 1200 av. J.-C.), l’huile d’olive est importée en Égypte où l’on s’en servait pour les rituels d’offrande et de mort. À l’Âge du fer – période phénicienne (1200 – 300 av. J.-C.), les Phéniciens introduisent en Grèce l’alphabet et l’olivier. À la période hellénistique (300 – 64 av. J.-C.), les méthodes de pressage se développent dans toute la région du Levant et les Grecs introduisent l’olivier dans leur quotidien et à la période romaine (64 av. J.-C. – 399), les Romains apprennent à déguster l’huile d’olive et l’introduisent dans leur alimentation. Jusqu’à la période byzantine (399 – 636) où l’huile d’olive devient indispensable dans toute la région pour la cuisine, les soins du corps, les massages et l’éclairage.

Les peuples qui vivent à l’ombre de cet arbre millénaire ont très vite compris la formidable chance qu’ils avaient. On n’est jamais pauvre quand on possède un olivier, dit le dicton. Véritable trésor de la nature, cet arbre-roi donne des fruits nourriciers, son huile sert à se nourrir, à s’éclairer, à soigner et sa générosité ne tarit jamais. Il ne perd jamais ses feuilles, même au plus profond de l’hiver. Chargé de symboles, de croyances et de légendes, l’olivier au tronc noueux, aux couleurs argentées raconte aussi l’histoire des hommes, leur vie de tous les jours, leur désir de paix, leur communion avec la nature. Et, surtout, leur envie de transmission et d’éternité. L’arbre de la lumière comme on l’appelle fait définitivement partie du patrimoine universel. Et l’on peut dire qu’il s’est forgé autour de la Méditerranée une vraie civilisation de l’olivier.

Un jour un roi passant devant un vieillard en train de planter des oliviers lui dit: "Espères-tu manger encore du fruit de ces plants?" Le vieillard lui répondit: "Ils ont planté et nous avons mangé. Nous plantons et ils mangeront."

L’homme a toujours été fasciné par l’olivier. Planter un de ces arbres dans son jardin est un genre de rituel, de passage obligé, de première chose que l’on fait avant même d’établir les plans de la maison. Et contempler un champ d’olivier est toujours pour les yeux un spectacle à nul autre pareil. Cela nous rapproche de Dieu, de l’essence des choses et on puise auprès de l’olivier la force et la protection.

Et cet arbre mythique est auréolé de soleil mais aussi de légendes. Il se raconte qu’Athéna, déesse de la sagesse, et Poséidon, dieu de la mer, se disputaient le nom d’une ville nouvelle qui venait de voir le jour en Attique, en Grèce. Pour les départager, Zeus, le roi des dieux, leur demanda à chacun d’offrir à la ville le cadeau le plus utile. Poséidon brandit alors son trident et fit jaillir d’un rocher un magnifique cheval pouvant porter cavaliers et armes, traîner des chars et faire gagner toutes les batailles. Athéna caressa un petit morceau de terre et en fit jaillir un arbre pouvant nourrir, soigner et ne mourant jamais. L’olivier conquit le cœur de Zeus qui le déclara don pour l’humanité et donna naturellement à Athéna le droit de protéger la ville et de la nommer suivant son propre nom. C’est ainsi que naquit Athènes entourée d’oliviers. Et, au sommet de l’Acropole aujourd’hui, un vieil olivier vénéré se laisse admirer comme l’ancêtre direct de cette fabuleuse légende d’un autre temps. Et l’huile de cet arbre serait un prix remis aux vainqueurs des Panathénées, les Jeux célébrant la fondation de la cité.

La légende dit aussi qu’Hercule, demi-dieu, fils de Zeus, se fit fabriquer une massue en bois d’olivier et frappait la terre partout en Grèce pour faire jaillir ces centaines de ces arbres qui allaient protéger de leur force tout un peuple et toute une civilisation pour le restant de leurs jours. Une loi d’ailleurs à l’époque de l’Antiquité punissait de mort quiconque détruirait un olivier.

Et, quand les Perses détruisirent la ville d’Athènes, les oliviers restèrent debout, défiant la violence et le feu, démontrant une fois de plus leur immortalité.

Pour les Égyptiens, c’est Isis, la mère universelle, épouse d’Osiris, qui apprend aux hommes comment cultiver l’olivier, arbre précieux et séculaire. Et, sur un papyrus retrouvé, Ramsès III s’adressait au dieu Râ en ces termes: "J’ai planté des oliviers dans la cité d’Héliopolis, avec des jardins et beaucoup de gens pour en prendre soin; de ces plantes, on extrait l’huile, une huile très pure, pour garder vivantes les lampes de ton sanctuaire."

En Italie, c’est Minerve, déesse de la sagesse, de la stratégie, de l’intelligence, de la pensée élevée, des lettres, des arts, de la musique, qui a transmis aux hommes de la cité la culture de l’olivier, et les fondateurs de Rome, Romulus et Rémus seraient nés à l’ombre d’un olivier. C’est ainsi que les Italiens appellent l’olivier l’arbre de Minerve.

Symbole de longévité et d’espérance, de renaissance et de paix, de victoire et de force, l’olivier est présent dans tous les livres saints. Cité plus de 140 fois dans la Bible, il accompagne Moïse mais aussi Noé et Jésus, et fait partie de tous les sacrements et les fêtes. Pour les musulmans, sur chaque feuille de l’olivier "est écrit le nom de Dieu". Cet arbre comme la vigne est souvent cité dans le Coran comme l’axe du monde, l’arbre de la justice, de la paix et de la concorde. Dans l’Islam, l’olivier symbolise la présence du Prophète.

Planter un olivier pour, comme disait Sophocle, "défier le temps et la raison". "Il est un arbre à nul autre pareil, qui renaît de lui-même. Cet arbre c’est l’olivier: son feuillage est brillant, il nourrit nos enfants." Alors pour nous aussi dans ce pays plein de lumière, d’oliviers mais aussi de noirceurs et d’incertitudes, une sollicitation: "Oliviers, arbres sacrés, entendez la prière de l’homme… versez la paix dont vous rayonnez." (Gabriele d’Annunzio)

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