Après un vide présidentiel qui a duré deux ans et cinq mois, Michel Aoun a été élu président de la République le 31 octobre 2016. Longtemps candidat du Hezbollah, il n’a pu être élu qu’après le soutien des Forces Libanaises et à la dernière minute de celui de Saad Hariri.

Le 8 novembre 2016, à la surprise générale de tous ceux qui pensaient d’une façon politiquement correcte, Donald Trump est élu 45e président des États-Unis face à Hillary Clinton qui était donnée favorite par tous les médias et instituts de sondage.

Ceux qui avaient soutenu Michel Aoun pariaient sur une victoire de Clinton, qui allait poursuivre la politique étrangère de Barack Obama vis-à-vis de l’Iran, en élargissant l’accord nucléaire et en levant les sanctions qui donneraient les moyens financiers à l’Iran d’étendre son influence dans la région, en général, et au Liban, en particulier.

Mais c’est le contraire qui s’est passé. Donald Trump qui avait promis pendant sa campagne qu’il allait " déchirer " l’accord de Vienne car c’est le " pire accord jamais négocié ", a concrétisé sa promesse. Cette sortie des États-Unis de l’accord s’est accompagnée du rétablissement des sanctions américaines contre l’Iran.

Que se serait-il passé si les politiques au Liban, dont certains se présentent comme de fins stratèges et tacticiens, avaient retardé l’élection du président de la République de quelques jours ?

Certainement, nous n’aurions pas eu le candidat du Hezbollah à Baabda et nous aurions pu éviter que l’Iran étende son occupation au pays du cèdre, et que le système financier s’effondre. Pour rappel, le premier domino qui a fait tomber tout le reste du jeu a été celui de l’augmentation des salaires du secteur public qui a été voté sans financement, ce qui a entraîné les ingénieries financières… Par ailleurs, l’occupation iranienne avait été parachevée avec la loi électorale élaborée par Georges Adwan et qui avait donné au camp iranien 74 députés, comme l’avait confirmé Qassem Soleimani, commandant de la force des Gardes de la révolution iranienne.

Six ans après, nous nous retrouvons avec un vide présidentiel dans un monde en réel bouleversement qui ne se limite plus à l’élection d’un président aux États-Unis.

Le 24 février dernier, Vladimir Poutine surprend le monde et envahit l’Ukraine. Avec l’aide des services de renseignements américains et britanniques qui avaient anticipé cette invasion, contrairement au reste des pays occidentaux, l’Ukraine tient tête à la Russie. L’OTAN qui retrouve son unité et son utilité, fournit les armes nécessaires à Kiev pour résister, mener une contre-offensive et reconquérir des territoires. Poutine devient un paria et la Russie sous le joug de sanctions occidentales est fragilisée au point de devoir se fournir en armes auprès de l’Iran et de la Corée du Nord.

Le 16 septembre 2022, Mahsa Amini, une jeune kurde de 22 ans, décède à Téhéran, suite à des tortures infligées par la police des mœurs. Elle et les femmes iraniennes deviennent le symbole d’une révolte face à la répression gouvernementale iranienne. Près de huit semaines après, les protestations touchent toutes les régions en Iran, toutes les classes sociales de tous les âges. Les manifestations continuent malgré les menaces des Gardiens de la révolution et gagnent le soutien et l’admiration d’une grande partie du monde.

Le 28 octobre 2022, le Liban signe avec Israël l’accord sur la délimitation des frontières maritimes. Suite aux pressions américaines, le Hezbollah accepte de donner des garanties sécuritaires et financières à Israël, et reconnaît son existence. Suite à cet accord, les États-Unis ont insisté sur le fait que les réformes doivent être incontournables, spécialement celles qui concernent l’électricité et le système bancaire.

Ces derniers jours étaient très riches en évènements :
– La victoire de Benjamin Netanyahu en Israël. Selon les déclarations américaines, l’accord sur la délimitation des frontières maritimes ne devrait pas être menacé. Mais comment réagira le gouvernement le plus extrémiste d’Israël face à l’Iran ou la Palestine ?
– Mardi 8 novembre, les midterms se tiennent aux États-Unis et selon les premiers résultats, les démocrates ont limité les pertes et la politique étrangère du président Biden serait poursuivie.
– Après la décision de l’Arabie saoudite d’accepter une baisse de la production de pétrole, dans le cadre de l’Opep+, les relations américano-saoudiennes qui avaient été fragilisées, ont été rapidement rétablies après que l’Arabie ait partagé des renseignements avec les États-Unis, indiquant que l’Iran pourrait attaquer de façon " imminente " le Royaume saoudien. La réponse de la Maison-Blanche ne s’est pas fait attendre : " Nous n’hésiterons pas à agir pour la défense de nos intérêts et de nos partenaires dans la région ".
– Toujours en octobre, un forum économique s’est tenu au Ritz-Carlton à Riyad et des hommes d’affaires israéliens ont pris la parole. C’est un signe clair mais subtil de liens commerciaux naissants et de l’acceptation croissante d’Israël dans le royaume, bien que les deux pays n’aient toujours pas de relations formelles.
– Fin octobre, selon des images satellites, les Émirats arabes unis auraient déployé un système de défense aérienne de fabrication israélienne pour protéger le pays des missiles et des drones iraniens.
– Samedi 5 novembre, l’Arabie organise à Beyrouth un congrès en soutien à l’accord de Taëf, auquel 1200 personnalités ont pris part, dont plusieurs appartenant au 8 Mars. Le grand absent était le Hezbollah.

Face à tous ces événements, il serait irresponsable de répéter l’erreur de 2016 en élisant un président, même de compromis. Surtout que les rapports de force dans la région et le monde sont en train de basculer en faveur de l’Occident et des Républiques libérales. La Russie se fragilise. Les protestations en Iran créent des fissures au niveau du régime des mollahs. La Chine, dont l’économie est touchée par la politique du Covid zéro et la crise immobilière, pourrait privilégier le commerce avec l’Occident aux dépens de ses relations avec la Russie et l’Iran.

Par ailleurs, que pourrait faire un président à l’heure actuelle ? Il lui sera dans l’impossibilité de réaliser les réformes nécessaires, de poursuivre les négociations avec le FMI, ou d’améliorer la vie des Libanais, l’origine de la crise étant en effet politique et non pas économique ou financière.

Le Liban est sous occupation iranienne et tout président qui sera élu le sera par la force des armes du Hezbollah, comme l’avait si bien dit le député Nawaf Moussaoui. En cette période troublante, le Hezbollah ne voudra qu’imposer le président qui va le défendre pour les six prochaines années et garantir son existence, surtout avec la fragilisation de l’Iran. Les résultats des élections législatives ont bien prouvé que le Hezbollah paralyse toutes les institutions, et même ceux "qui peuvent et qui veulent" ou ces autres qui "veulent changer" n’ont rien pu faire.

À ceux qui pensent que les mêmes députés voteront pour un même candidat aujourd’hui et dans quelques semaines, il est bon de rappeler que le Parlement élu en 1972 avait fait élire dans l’ordre : Elias Sarkis, Bachir Gemayel, Amine Gemayel, René Moawad et Elias Hraoui. Les élections au Liban ne sont pas une affaire arithmétique, mais de rapport de forces régionales.

Comme le disait Antonio Gramsci : " Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ".

Depuis mai 2014, le Liban est sans président, ce n’est pas quelques semaines de vide qui vont aggraver la situation. Aujourd’hui, il ne nous est plus demandé de s’opposer, mais de résister face à l’occupation iranienne en attendant de pouvoir nous en libérer quand le pacte du mal qui lie le régime iranien aux autres États parias sera tombé.