Selon des milieux diplomatiques, les tournées menées actuellement par les ambassadeurs occidentaux dans les différentes régions du pays, notamment l’ambassadrice des États-Unis Dorothy Shea, et celle de France Anne Grillo, viseraient notamment à exhorter les Libanais à participer massivement aux prochaines élections législatives s’ils souhaitent effectivement qu’un changement ait lieu. Un tel changement ne pourrait en effet que commencer par les urnes, si l’objectif est de provoquer la chute de l’establishment politique corrompu, conformément au slogan de la révolution du 17 octobre 2019,”tous, cela veut dire tous”. La suite logique de cette revendication en effet serait de bien choisir ses nouveaux représentants qui devraient être révélateurs des slogans brandis par les révolutionnaires, auraient souligné les diplomates au cours de leurs tournées.

Ces derniers ont concentré leurs visites sur des zones périphériques, en particulier celles qui constituent le “réservoir” de voix sunnites, à savoir le Akkar et Saïda, après le retrait de Saad Hariri et du Courant du Futur de la course électorale. L’un des objectifs de ces déplacements serait de tenter de mesurer l’impact de la décision de l’ancien Premier ministre sur la rue sunnite, et de tâter le pouls des orientations politiques de cette dernière. Dans ce cadre, l’appel à une participation active aux élections, adressé notamment à des personnalités de la société civile afin de remplir le vide laissé par le parti haririen, viserait à empêcher toute exploitation de ce vacuum par des groupes extrémistes, voire terroristes, aux antipodes de la modération prônée par Saad Hariri.

D’autres craintes, plus imminentes, s’ajoutent à cette dérive: celle de voir le Hezbollah poursuivre  et renforcer son implantation dans les milieux sunnites à travers lesdites “Brigades de la résistance” sunnites qui lui sont acquises, dans une vaste entreprise de récupération des bases haririennes. Cela permettrait au parti chiite de renforcer notamment les pertes qu’il risque de subir du côté de son allié chrétien, le Courant patriotique libre, en perte de popularité, et de remplumer la majorité parlementaire dite de “Kassem Soleimani”, acquise à Téhéran.

En dépit de leurs divergences et de leur volonté de se différencier les unes des autres, les groupes de la société civile cherchent à s’organiser et à unifier leurs rangs au sein d’un large front d’opposition pour mener les élections à l’échelle du pays et dans toutes les circonscriptions. Cependant, des différences organisationnelles et logistiques, et même formelles, continuent jusqu’à l’heure d’empêcher cette dynamique de se mettre en place, en dépit des pressions locales et extérieures visant à unifier les positions.

La crainte que ces élections n’aient pas lieu existe bel et bien, du fait de plusieurs considérations: intérieures d’abord, certains partis loyalistes pressentant sur base des sondages d’opinion qu’ils ont menés une réduction substantielle de leurs groupes parlementaires, et extérieures ensuite, partant de la volonté de certaines parties locales de continuer à hypothéquer le dossier libanais et à utiliser le pays au profit de leur projet régional et de l’agenda de Téhéran.

La hausse du taux de change dollar/LL, la baisse du pouvoir d’achat suite à la dévaluation de la monnaie nationale, ou encore le coût de la bataille électorale pour les candidats actuels constituent autant d’éléments négatifs qui pourraient pousser certaines parties à vouloir également un report du scrutin. Sans compter l’échec du projet du méga centre électoral, dont certaines formations souhaitaient l’établissement pour profiter d’une délocalisation du vote qui aurait quelque peu brisé le pouvoir de contrôle d’autres partis sur le processus électoral dans certaines régions. Sans oublier l’incapacité de certaines forces à pouvoir établir des alliances électorales pour plus d’une considération, les exposant au risque d’une bérézina électorale.

Des milieux diplomatiques perçoivent ce désir chez certaines parties de torpiller les élections. Mais ces dernières ne disposent pas des mécanismes nécessaires pour arriver à leurs fins. C’est pourquoi il est beaucoup question d’incidents sécuritaires, y compris des assassinats, des affrontements et le réveil aussi bien du front intérieur que du Liban-Sud. Cela expliquerait notamment l’attaque ciblée du Hezbollah contre les Forces libanaises, accusées de vouloir fomenter une guerre civile.

Certains sont également revenus à la charge pour établir une 16e circonscription pour les expatriés, qui empêcherait ainsi ces derniers de voter pour l’ensemble des députés, estimant que cette démarche pourrait également contribuer à saborder les élections.

Quelle serait l’alternative au scrutin? Des sources politiques bien informées révèlent que des forces politiques planchent actuellement, dans certaines capitales de décision, sur plusieurs scénarios dans le cas où les élections n’auraient pas lieu. À Washington, plusieurs membres du Congrès d’origine libanaise chercheraient ainsi à faire adopter une résolution imposant la mise en œuvre de la 1559, le rétablissement du monopole de la violence légitime et, partant, le désarmement des milices et des camps palestiniens. Le projet prévoirait d’isoler la région du Liban-Sud, dépôt central des armes du Hezbollah, des autres régions, en faisant de Beyrouth, de la Montagne et du Nord des zones démilitarisées. La même démarche serait complétée plus tard au Liban-Sud, à la lumière des développements, notamment à Vienne.

La proposition de démilitariser Beyrouth avait déjà été évoquée il y a plusieurs années par certaines forces politiques, sans jamais connaître de mise en œuvre sur le terrain.

La question du tracé des frontières maritimes et terrestres avec Israël est par ailleurs traitée avec urgence pour ôter un prétexte supplémentaire au maintien par le Hezbollah de ses armes et ouvrir la voie au Liban pour qu’il puisse profiter de ses richesses pétrolières.

En parallèle, la Syrie est chargée de contrôler les frontières à l’Est et de fermer les points de passage illégaux, ce qu’elle aurait commencé à faire, selon les premières indications, pour empêcher la contrebande. Les forces de l’armée du régime ont ainsi commencé à se déployer aux frontières pour remplacer les forces de la quatrième division. Cette démarche serait l’une des conditions imposée au président syrien Bachar el-Assad pour qu’il puisse rester au pouvoir à Damas et retrouver son siège à la Ligue arabe.

Toutes ces questions pourraient coïncider avec la déclaration de l’état d’urgence et la mise du Liban sous protection internationale pour éviter un vide institutionnel et le report des législatives et la présidentielle, Failed State oblige, sachant que le Conseil de sécurité se réunira en mars prochain pour une séance spéciale consacrée au Liban.

Plusieurs scénarios seraient actuellement à l’étude, mais aucune décision n’aurait été prise jusqu’à l’heure privilégiant une option à l’autre. Qu’à cela ne tienne, selon un diplomate occidental, “les mois à venir seront riches en rebondissements”, et celui de mai en particulier “constituera un tournant”, de l’avis d’un responsable libanais.

La question reste de savoir si la solution passera par la logique institutionnelle et les voies démocratiques, c’est-à-dire par les urnes et une alternance pacifique au pouvoir, ou bien au forceps, par le biais de décisions et de démarches internationales imposées au Liban.